Contrelittérature et autogestion
vendredi, 23 février 2007
Yvon BOURDET
(1920- 2005)
Le sociologue Yvon Bourdet fut le premier à conceptualiser "la talvera" de Jean Boudou ; cette notice bio-bibliographique, établie par François Pic, voudrait lui rendre hommage.
Ni la Revue française de sociologie, ni les Cahiers internationaux de sociologie, ni L’Homme et la Société, aucune revue française n’a consacré à ce jour la moindre ligne au sociologue Yvon Bourdet, mort à Paris le 11 mars 2005 à l’âge de 85 ans.
Seul le quotidien Le Monde a publié, par la plume d’Olivier Corpet, un de ses disciples puis collègue – auteur en 1982 d’une thèse de troisième cycle intitulée Matériaux pour une sociologie de l’autogestion, actuellement directeur de l’IMEC, Institut Mémoires de l’édition contemporaine – une courte notice dans son “ Carnet Disparitions ” du jeudi 17 mars 2005, page 12.
Toutes autres archives, à commencer par celles du Comité pour l’histoire du CNRS, sont également muettes…
Toutes autres archives, à commencer par celles du Comité pour l’histoire du CNRS, sont également muettes…
Le silence des grandes revues de sociologie trouve son explication première dans un ouvrage d’Yvon Bourdet : Éloge du patois ou l’itinéraire d’un occitan. Cet ouvrage, hapax dans la bibliographie de son auteur, est source de du black-out et de l’ostracisme opposés, dès parution, à Yvon Bourdet. Vous n’y pensez pas ! Prendre le “ patois ” pour objet sociologique ? Qui plus est pour en faire l’éloge ? Voilà presque un affront à la Recherche française !
À tout le moins, un bâton pour se fourvoyer et s’exclure d’une intelligentsia inexorablement hexagonalisée. En dépit de quoi, comme cela s’était produit quatre ans auparavant lors de la parution de Parler croquant (Paris, Stock 2, 1973, coll. Dire), ouvrage de son “ congénère ” limousin de Corrèze Claude Duneton, le public et le succès sont au rendez-vous !
“ Je suis né, en 1920, dans un hameau (le Bros-haut) de la commune d’Albussac, en Corrèze. Mes parents étaient de petites exploitants agricoles (sept à huit bêtes à cornes). ” résume-t-il dans un article lumineux (Matériau…, 1982). Puis, dès les premières lignes de son Éloge du patois : “ À l’âge de cinq ans, j’ai été brusquement transplanté –huit heures par jour– dans une école de la République française, en laquelle ma langue maternelle (la seule dont j’eusse l’usage) non seulement ne se parlait pas mais était interdite. Le reste de la journée et dans la cour même de récréation de l’école, je continuais à parler ce patois corrézien ”.
Il ne saurait être question de pratiquer, à notre tour, le même mépris, d’effacer, à la faveur de ces/ses seules sensibilité et compétence sociolinguistiques, les multiples champs et compétences d’Yvon Bourdet. Celui-ci dut d’ailleurs, dès les premiers mots de son livre suivant, L’espace de l’autogestion (1978), faire – à l’intention de ceux qui se désolaient de le voir abandonner de vrais sujets à la faveur d’un non-sujet – la mise au point que voici, page 11 : “ La parution de l’Éloge du patois (ou l’itinéraire d’un occitan) a été interprétée, notamment par ceux qui s’en tenaient au titre, comme l’ouverture d’un nouveau champ d’investigation et donc l’abandon des recherches sur l’autogestion et sur l’austromarxisme. Si ces observateurs pressés avaient seulement pris la peine de parcourir la seconde partie du livre, ils y auraient pu voir la reprise de thèses d’Otto Bauer, par exemple, … ” poursuivant, avec une ironie certaine, quelques lignes plus loin : “ Cet égarement [celui d’Y. Bourdet s’intéressant au patois !] hors des chemins balisés de la recherche “ scientifique ” a pu produire la surprise, la pitié ou la Schadenfreude selon les degrés des relations personnelles, de l’amitié à la concurrence … ”
Les principaux chantiers de recherche d’Yvon Bourdet –qui fondèrent sa réputation internationale– sont bien l’Autogestion, l’Austro-marxisme, la question des minorités nationales – et plus particulièrement la revendication occitane.
Après des études de théologie, une licence de lettres, une agrégation de philosophie, enfin une thèse, Yvon Bourdet entre au CNRS où il achève sa carrière comme maître de recherche, section Sociologie. Encouragé par Raymond Aron à introduire en France les travaux des théoriciens de l’austro-marxisme (Rudolf Hilferding, Max Adler, Otto Bauer), il collabore aux revues Socialisme ou Barbarie et Arguments, avant de devenir, en 1966, l’animateur de la revue Autogestion, créée par le sociologue Georges Gurvitch (devenue Autogestion et Socialisme, puis Autogestions en 1980, avant de, selon O. Corpet, “ s’arrêter en 1986, lasse de courir après toutes les récupérations idéologiques de ce vocable vite dénaturé ”.
La contrelittérature gardera fidèlement la mémoire d'Yvon Bourdet, “honnête-chercheur”, historien et théoricien de l’autogestion, penseur lucide et critique des espaces de la différence.
Les principaux chantiers de recherche d’Yvon Bourdet –qui fondèrent sa réputation internationale– sont bien l’Autogestion, l’Austro-marxisme, la question des minorités nationales – et plus particulièrement la revendication occitane.
Après des études de théologie, une licence de lettres, une agrégation de philosophie, enfin une thèse, Yvon Bourdet entre au CNRS où il achève sa carrière comme maître de recherche, section Sociologie. Encouragé par Raymond Aron à introduire en France les travaux des théoriciens de l’austro-marxisme (Rudolf Hilferding, Max Adler, Otto Bauer), il collabore aux revues Socialisme ou Barbarie et Arguments, avant de devenir, en 1966, l’animateur de la revue Autogestion, créée par le sociologue Georges Gurvitch (devenue Autogestion et Socialisme, puis Autogestions en 1980, avant de, selon O. Corpet, “ s’arrêter en 1986, lasse de courir après toutes les récupérations idéologiques de ce vocable vite dénaturé ”.
La contrelittérature gardera fidèlement la mémoire d'Yvon Bourdet, “honnête-chercheur”, historien et théoricien de l’autogestion, penseur lucide et critique des espaces de la différence.
Bibliographie succincte
* Communisme et marxisme. Éd. Michel Brient, 1963.
* Traduction, introduction et notes de : Démocratie et conseils ouvriers de Max Adler. Paris, Maspéro, 1967.
* Otto Bauer et la Révolution. Textes choisis, présentés et annotés. S. l., E.D.I., 1968.
* Introduction à : Le Capital financier de Rudolf Hilferding. Parias, Éd. de Minuit, 1970.
* La délivrance de Prométhée. Pour une théorie politique de l’autogestion. Paris, Anthropos, 1970.
* Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier international. I : L’Autriche (en collaboration avec F. Kreissler, G. Haupt et H. Steiner). Paris, Les Éditions ouvrières, 1971.
* Introduction à : Démocratie politique et démocratie sociale de Max Adler. Paris, Anthropos.
* Figures de Lukács. Paris, Éd. Anthropos, 1972. 223 p. Contient le texte d’un entretien de l’auteur avec György Lukács, 16 avril 1971.
* Pour l’autogestion. Paris, Éd. Anthropos, 1974.
* En collaboration avec Alain Guillerm. Clefs pour l’autogestion. Paris, Seghers, 1975. 288 p. (Coll. Clefs).
* En collaboration. Que lire ? Bibliographie de la révolution. S. l., E.D.I., 1975.
* Éloge du patois ou l’itinéraire d’un occitan. Récit. Paris, Galilée, 1977. 181 p. (Coll. Coup pour coup).
* En collaboration avec Olivier Corpet, Jean Duvignaud, Georges Gurvitch, Jacqueline Pluet. Qui a peur de l’autogestion ? Liberté ou terreur. Paris, Union générale d’éditions 10/18, 1978. X-430 p. (Coll. Cause commune).
* L’espace de l’autogestion. Paris, Galilée, 1978. 101 p. (Coll. Débats).
( Cette notice bio-bibliographique de François Pic est parue dans Contrelittérature N°17, Hiver 2006, p. 5 )
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