HENRY LE BAL
vendredi, 02 mars 2007
Une pièce d'Henry Le Bal
avec Arnaud Delon et Marc Di Napoli
Les 16, 17 et 18 mars 2007
Espace Bernanos, 4, rue du Havre, 75009 Paris
Réservation : 01 45 26 65 26
On lira ci-dessous notre compte-rendu du dernier roman d'Henry Le Bal, Le Janvier du Monde, paru dans La Presse littéraire numéro 7 ( août 2006). Corcovaël est l'explicit, sous la forme théâtrale, de cet extraordinaire roman.
LE VISAGE D'ÉTERNITÉ
par Alain Santacreu
C’est en janvier 1502 que l’explorateur portugais Gaspar de Lemos découvrit la baie de Guanabara, au sud-est du Brésil. Comme nous étions au mois de janvier et qu’il croyait avoir découvert l’embouchure d’un fleuve ou d’une rivière, Lemos baptisa le site « Rio de Janeiro » ; c’est-à-dire, en français, Rivière de janvier.
Ce rappel historique éclaire le beau titre du second roman d’Henri Le Bal, Le Janvier du Monde. Mais ce titre donne aussi une autre clef du livre, nous orientant vers le symbolisme de Janus qui, chez les Romains, présidait au premier mois de l’année. Janus, le dieu-biface, symbole de la fusion du passé et du futur, dont le véritable visage est celui du présent insaisissable, visage invisible de l’éternité. On peut voir dans le Christ – dont la statue monumentale du Corcovaco surplombe Rio de Janeiro – le « Seigneur de l’éternité », étant l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin, Jesu pater futuri saeculi .
Ce rappel historique éclaire le beau titre du second roman d’Henri Le Bal, Le Janvier du Monde. Mais ce titre donne aussi une autre clef du livre, nous orientant vers le symbolisme de Janus qui, chez les Romains, présidait au premier mois de l’année. Janus, le dieu-biface, symbole de la fusion du passé et du futur, dont le véritable visage est celui du présent insaisissable, visage invisible de l’éternité. On peut voir dans le Christ – dont la statue monumentale du Corcovaco surplombe Rio de Janeiro – le « Seigneur de l’éternité », étant l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin, Jesu pater futuri saeculi .
Le Janvier du Monde est donc l’histoire d’un lieu qui porte le nom d’un fleuve qui n’existe pas. Le roman d’Henry le Bal est le récit d’une kénose, d’un effacement à soi-même pour s’ouvrir à l’Œuvre de Dieu. Jude, l’écrivain français, renonce à l’écriture et s’exile à Paquetá, une petite île de la baie de Rio de Janeiro. Il ne peut y avoir de grande littérature sinon du renoncement à la littérature. L’exil amoureux volontaire est à l’initiative de cet éloignement : le roman retrouve l’esprit sacrificiel de la romance courtoise, la poésie mystique du désir demeuré désir. On se rappelle ces paroles de Simone Weil dans La Pesanteur et la Grâce : « Dieu ne peut aimer en nous que ce consentement à nous retirer pour le laisser passer, comme lui-même, Créateur, s’est retiré pour nous laisser passer ».
Le Janvier du Monde débute par un texte polyphonique à une voix, composé de différentes formes d’écriture du « je » – journal intime, carnet de voyage, notes, lettres – puis, après un passage au récit à la troisième personne, dans le « roman inachevé de Jude », il se clôt sur un extraordinaire dialogue théâtral entre l’écrivain et l’ange Corcovaël qui est l’esprit du lieu, l’ange de la baie de Guanabara, l’inspirateur du livre. Du récit au théâtre, le temps du roman est toujours le présent de l’énonciation, présent de l’écriture, de la parole vive. Le récit à la première personne, en passant sous silence la parole du destinataire, la seconde personne, permet au narrateur de découvrir une nature de l’écriture où le « moi » s’abolit. Le récit à la troisième personne du « roman inachevé » est un passage essentiel où se révèle le secret de la trame romanesque.
On pense irrésistiblement au « roman du huitième jour » que prophétisa Raymond Abellio, d’autant plus que le thème du « huitième jour » est récurrent dans Le Janvier du Monde. Il n’y a pas de huitième jour dans la Genèse, après les six jours de la création et le repos du septième jour, tout semble achevé. Cependant, pour l’homme, c’est au huitième jour que tout commence.
Raymond Abellio, dans une lettre adressée à Dominique de Roux, s’exprimait ainsi : « L’homme intérieur est celui du septième jour. Parvenu à ce point du temps, il est encore un Moi. C’est à ce moment que le monde est transfiguré par lui. Le Fils : J’attirerai tout à moi. Le Fils fait monter le monde jusqu’à lui. Ce n’est pas lui qui redescend dans le monde, c’est le monde qui vient en lui, en haut de la montée, et le Moi alors se fait Nous ».
On devine la force symbolique du dialogue théâtral de la fin du roman qui est la représentation du « nous » réalisé. À travers les différentes partitions du roman et leurs lectures croisées, la « reprise » des mots, des lieux et des destinées entretisse les motifs en spirale, à l’image du rythme des marées, de leurs flux et reflux, jusqu’à l’acmée du dialogue final.
Il y a une esthétique et une éthique de l’exil qu’éveille la désappropriation de soi-même. Cette beauté du détachement, inscrite dans l’âme carioca, imprègne le roman d’Henry Le Bal. Dans le lignage de Dominique de Roux, Le Janvier du Monde relève de la grande littérature sébastianiste d’expression française. Ainsi, on ne s’étonnera pas qu’apparaisse, au début du livre, dans un « Avertissement » écrit par l’auteur, la noble figure de Jacqueline de Roux, la « grande dame de Varennes » qui, en lui confiant la « matière » du livre, procède d’une forme mystérieuse d’adoubement littéraire. Sans doute la Figure du Roi caché apparaissait-elle encore plus explicite dans le premier roman d’Henry de Bal, Le Doigt de Dieu, mais elle se dévoile ici dans le style lui-même, cette « tendresse de la joie pénétrant la tristesse », ce sentiment que la langue portugaise nomme saudade. Henry le Bal donne à lire cette nostalgie où s’origine l’écriture comme rarement un écrivain français. Les mystères de la royauté et de la vocation de la France restent évoqués de façon subtile – très particulièrement à travers l’allusion réitérée à la mort tragique du Dauphin, Louis Joseph, fils aîné de Louis XVI et de Marie-Antoinette, mort à l’âge de huit ans, le 4 juin 1789, quelques jours avant la clôture des États Généraux.
Dans Le Doigt de Dieu, un personnage dans lequel on reconnaît le philosophe Pierre Boutang, donne sa définition de l’art poétique : « Le mystère, l’essence de la poésie est dans le passage d’une langue à une autre. Elle est là, dans cet entre-de-l’une-à l’autre que nul homme ne parle ». Ce vide intersticiel où l’âme s’enflamme est le lieu de l’esprit. Dans Le Janvier du Monde ce lieu s’appelle Paquetá. Cette île est la métamorphose de la Dame des romans d’amour chevaleresques, l’inspiratrice de l’aventure de l’écriture poétique. En tant que destinatrice, elle instaure le lieu du poème jusqu’à se confondre avec lui. Le roman est donc écrit pour une lectrice qui se révèle avoir la dimension virginale de la Mère du Verbe, « Médiatrice de toutes grâces » et Janua Coeli, « Porte du Ciel ». Dans Le Janvier du Monde, l’île de Paquetá contient dans ses flancs la beauté du Verbe qui s’est fait chair.
La singularité du style d’Heny Le Bal se situe dans le passage d’un entre-deux langues. La musicalité du portugais carioca entre en résonnance avec les mots français et leur insuffle une tonalité étrangement proche et lointaine : des mots nouveaux qui nous rappellent une langue que nous n’aurions jamais entendue. Cependant, l’invention lexicale et syntaxique est intimement reliée à l’esprit de la langue : les néologismes et les formes nouvelles éclosent avec une grâce naturelle. L’auteur est un « logocrate » dont l’œuvre ouvre la voie du Verbe incarné.
L’Esprit, lors de la Pentecôte, repose sur la tête de La Vierge, entourée des apôtres, sous la forme d’une langue qui s’apparente au iod hébraïque, lettre-germe de l’aleph-beith. Cette représentation est, non seulement le rappel que l’Esprit avait déjà parlé par les prophètes, mais encore que son effusion retisse les langues en les réorientant vers leur source – de telle façon que leur multiplicité n’engendre plus la « confusion », selon l’étymologie de Babel : « Nous entendons proclamer dans nos langues les merveilles de Dieu » ( Actes des Apôtres, 2, 11. )
La langue française était-elle présente le soir de la Pentecôte ? Telle est, pour Henry Le Bal, la seule question qui vaille qu’un écrivain se pose. La réponse est dans l’originalité singulière de son style qui retrouve la « science romane » des mots, cette force incantatoire de la langue, réceptacle du Verbe proféré par Dieu.
Ce second roman d’Henri Le Bal, que l’on osera saluer comme un chef-d’œuvre, est paru quelques mois à peine après notre livre La Contrelittérature, un manifeste pour l’esprit : à nos yeux, il en est une confirmation éclatante.
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Le Janvier du Monde débute par un texte polyphonique à une voix, composé de différentes formes d’écriture du « je » – journal intime, carnet de voyage, notes, lettres – puis, après un passage au récit à la troisième personne, dans le « roman inachevé de Jude », il se clôt sur un extraordinaire dialogue théâtral entre l’écrivain et l’ange Corcovaël qui est l’esprit du lieu, l’ange de la baie de Guanabara, l’inspirateur du livre. Du récit au théâtre, le temps du roman est toujours le présent de l’énonciation, présent de l’écriture, de la parole vive. Le récit à la première personne, en passant sous silence la parole du destinataire, la seconde personne, permet au narrateur de découvrir une nature de l’écriture où le « moi » s’abolit. Le récit à la troisième personne du « roman inachevé » est un passage essentiel où se révèle le secret de la trame romanesque.
On pense irrésistiblement au « roman du huitième jour » que prophétisa Raymond Abellio, d’autant plus que le thème du « huitième jour » est récurrent dans Le Janvier du Monde. Il n’y a pas de huitième jour dans la Genèse, après les six jours de la création et le repos du septième jour, tout semble achevé. Cependant, pour l’homme, c’est au huitième jour que tout commence.
Raymond Abellio, dans une lettre adressée à Dominique de Roux, s’exprimait ainsi : « L’homme intérieur est celui du septième jour. Parvenu à ce point du temps, il est encore un Moi. C’est à ce moment que le monde est transfiguré par lui. Le Fils : J’attirerai tout à moi. Le Fils fait monter le monde jusqu’à lui. Ce n’est pas lui qui redescend dans le monde, c’est le monde qui vient en lui, en haut de la montée, et le Moi alors se fait Nous ».
On devine la force symbolique du dialogue théâtral de la fin du roman qui est la représentation du « nous » réalisé. À travers les différentes partitions du roman et leurs lectures croisées, la « reprise » des mots, des lieux et des destinées entretisse les motifs en spirale, à l’image du rythme des marées, de leurs flux et reflux, jusqu’à l’acmée du dialogue final.
Il y a une esthétique et une éthique de l’exil qu’éveille la désappropriation de soi-même. Cette beauté du détachement, inscrite dans l’âme carioca, imprègne le roman d’Henry Le Bal. Dans le lignage de Dominique de Roux, Le Janvier du Monde relève de la grande littérature sébastianiste d’expression française. Ainsi, on ne s’étonnera pas qu’apparaisse, au début du livre, dans un « Avertissement » écrit par l’auteur, la noble figure de Jacqueline de Roux, la « grande dame de Varennes » qui, en lui confiant la « matière » du livre, procède d’une forme mystérieuse d’adoubement littéraire. Sans doute la Figure du Roi caché apparaissait-elle encore plus explicite dans le premier roman d’Henry de Bal, Le Doigt de Dieu, mais elle se dévoile ici dans le style lui-même, cette « tendresse de la joie pénétrant la tristesse », ce sentiment que la langue portugaise nomme saudade. Henry le Bal donne à lire cette nostalgie où s’origine l’écriture comme rarement un écrivain français. Les mystères de la royauté et de la vocation de la France restent évoqués de façon subtile – très particulièrement à travers l’allusion réitérée à la mort tragique du Dauphin, Louis Joseph, fils aîné de Louis XVI et de Marie-Antoinette, mort à l’âge de huit ans, le 4 juin 1789, quelques jours avant la clôture des États Généraux.
Dans Le Doigt de Dieu, un personnage dans lequel on reconnaît le philosophe Pierre Boutang, donne sa définition de l’art poétique : « Le mystère, l’essence de la poésie est dans le passage d’une langue à une autre. Elle est là, dans cet entre-de-l’une-à l’autre que nul homme ne parle ». Ce vide intersticiel où l’âme s’enflamme est le lieu de l’esprit. Dans Le Janvier du Monde ce lieu s’appelle Paquetá. Cette île est la métamorphose de la Dame des romans d’amour chevaleresques, l’inspiratrice de l’aventure de l’écriture poétique. En tant que destinatrice, elle instaure le lieu du poème jusqu’à se confondre avec lui. Le roman est donc écrit pour une lectrice qui se révèle avoir la dimension virginale de la Mère du Verbe, « Médiatrice de toutes grâces » et Janua Coeli, « Porte du Ciel ». Dans Le Janvier du Monde, l’île de Paquetá contient dans ses flancs la beauté du Verbe qui s’est fait chair.
La singularité du style d’Heny Le Bal se situe dans le passage d’un entre-deux langues. La musicalité du portugais carioca entre en résonnance avec les mots français et leur insuffle une tonalité étrangement proche et lointaine : des mots nouveaux qui nous rappellent une langue que nous n’aurions jamais entendue. Cependant, l’invention lexicale et syntaxique est intimement reliée à l’esprit de la langue : les néologismes et les formes nouvelles éclosent avec une grâce naturelle. L’auteur est un « logocrate » dont l’œuvre ouvre la voie du Verbe incarné.
L’Esprit, lors de la Pentecôte, repose sur la tête de La Vierge, entourée des apôtres, sous la forme d’une langue qui s’apparente au iod hébraïque, lettre-germe de l’aleph-beith. Cette représentation est, non seulement le rappel que l’Esprit avait déjà parlé par les prophètes, mais encore que son effusion retisse les langues en les réorientant vers leur source – de telle façon que leur multiplicité n’engendre plus la « confusion », selon l’étymologie de Babel : « Nous entendons proclamer dans nos langues les merveilles de Dieu » ( Actes des Apôtres, 2, 11. )
La langue française était-elle présente le soir de la Pentecôte ? Telle est, pour Henry Le Bal, la seule question qui vaille qu’un écrivain se pose. La réponse est dans l’originalité singulière de son style qui retrouve la « science romane » des mots, cette force incantatoire de la langue, réceptacle du Verbe proféré par Dieu.
Ce second roman d’Henri Le Bal, que l’on osera saluer comme un chef-d’œuvre, est paru quelques mois à peine après notre livre La Contrelittérature, un manifeste pour l’esprit : à nos yeux, il en est une confirmation éclatante.
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Henry Le Bal, Le Janvier du Monde, L’Âge d’Homme, 2006, 367 p., 25 €.
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