L'Autre qui existe et celui qui n'existe pas
mardi, 31 mars 2009
Lorsque en 1998, Jacques-Alain Miller, héritier spirituel et beau-fils de Lacan, titre son Séminaire de psychanalyse « L'Autre qui n'existe pas et ses Comités d'éthique », il énonce publiquement le résultat d'un siècle de pratique analytique, soit le dernier mot sur « le malaise dans la civilisation » repéré par Freud : « l'Autre n'existe pas ». La proposition, dans sa radicalité, en a laissé beaucoup perplexes. Et pourtant elle est à prendre au premier degré.
Sa vérité profonde est à entendre comme suit : l'Autre n'existe pas... dans le monde des frères (mais sans père).
Ce que dit ici la psychanalyse, mais pas n'importe laquelle, la psychanalyse lacanienne, celle qui a pris au sérieux l'extrémisme nominaliste de la fraternité globale et qui a voulu l'analyser jusqu'au bout, ce sont les vérités du monde des frères (mais sans père), le monde dans lequel nous vivons le fameux malaise.
Dans l'exacte mesure où ce monde se construit sur la déconstruction, et plus exactement sur la destruction, du monde des fils, c'est-à-dire sur la destruction de la tradition judéo-chrétienne, il est inévitable que toutes les vérités énonçables sur ledit monde soient des formules négatives : « l'amour c'est donner ce qu'on n'a pas », « il n'y a de vérité que de mi-dire », « La Femme n'existe pas », « il n'y a pas de rapport sexuel », « l'Autre n'existe pas » et ainsi de suite. Toutes ces propositions se démontrent dans le contexte du monde des frères (mais sans père). Elles lui sont strictement relatives, et n'ont par conséquent aucune universalité, mais elles sont précieuses parce qu'elles dénudent les ressorts dudit monde et participent à sa disparition par la critique de la prétention fraternitaire à quelque bonheur que ce soit.
Lacan, non sans quelques hésitations, a pris le parti de ne pas laisser ouverte la question de la foi, de son articulation à la raison, et de s'en tenir aux prémisses fondatrices du monde des frères en considérant, non sans pessimisme, que, puisque nous y sommes enfermés, il faut faire avec. L'Autre qu'il a introduit est celui de nos représentations, c’est le lieu de la parole et du langage, et il en est venu à conclure qu’il n’y avait pas de place dans cet Autre pour que s’y pose la question de l’être. À son sens, la jouissance y objecte définitivement, refusant par là de voir que la jouissance est un état-limite de l’être, dans un état de nature donné, transitoire et daté, comme on va le montrer [1]
Or le problème lié à la dimension de l'Autre est celui de l'ordre du monde qu'il surplombe, et du bonheur que celui-ci propose. On y retrouve la tension entre réalisme et idéalisme : ordre de l'être ou ordre de nos représentations.
Bien entendu, le « ou » qui sépare les deux alternatives n'est pas un « ou » exclusif, du moins pour un réalisme modéré. Dans le monde des fils, ce « ou », « ou » inclusif par conséquent, traduit l'alternative morale dans laquelle nous place notre lien à l'être naturel, lien qui dit notre orientation dans l'être : ce qui peut être et ce qui ne doit pas être – lien qui est explicité par la loi naturelle.
La psychanalyse lacanienne a cru bon devoir considérer ce « ou » comme exclusif et ne retenir de l'Autre que sa puissance de mise en ordre symbolique – mais bien sûr l'ordre symbolique ne coïncide pas avec l'ordre naturel [2], loin de là, car lorsque celui-ci s'indexe sur l'être, celui-là s'organise autour du rien. De sorte que la seule éthique qui se dégage de ce choix est, là encore, purement négative, dans la mesure où la psychanalyse ne nous désigne pas le bien, mais nous propose d'élucider, par le bien dire, « un certain mal » qui nous ronge.
Mais c'est précisément aussi par là qu'elle nous intéresse, parce qu'elle nous apporte des outils d'analyse considérables non pas seulement sur ce mal, mais sur le mal tout court, et surtout le mal aujourd’hui. Ce mal, elle l'appelle « jouissance », et cette jouissance c'est ce que nous appellerons, en reversant à Saint Paul ce qui lui appartient, le péché dérégulé.
Car c’est sous cet angle d’une dérégulation du péché que le monde des frères (mais sans père) impose – veut imposer – désormais sa conception du bonheur.
DE L'AUTRE QUI N'EXISTE PAS À CELUI QUI EXISTE : DE L’UNE À L’AUTRE JOUISSANCE
L'intérêt de la psychanalyse, en particulier lacanienne, tient pour une large part dans la mise en place de ce concept du grand Autre, impliqué par le dispositif de la cure elle-même, et dont la mise en œuvre a une puissance de dévoilement purement négative, comme on l’a déjà souligné, puisque c'est au moment même où il va livrer le dernier mot sur la jouissance humaine, qu’il se met à défaillir et à révéler que lui, l’Autre, existerait s’il pouvait dire ce dernier mot, mais qu’en réalité il n'existe pas. C’est que la jouissance qu’il semblait promettre est sur le mode du n’être pas. Et de s’évanouir.
Il n’y a pas de signifiant de la jouissance [3] , dit Lacan, et donc il n’y a pas de savoir sur le mal.
C'est dans cette défaillance que, selon Lacan, se révèle la face Dieu de l'Autre et que prend racine cette « jouissance mystique » qu’il illustre de la figure de Sainte Thérèse d’Avila. En quoi il dit à moitié vrai mais aussi à moitié faux. À moitié vrai lorsqu'il reconnaît « la jouissance mystique » comme une « autre jouissance » que la jouissance commune, à moitié faux lorsqu'il indexe cette « jouissance mystique » sur l'inexistence définitive de l'Autre : car, à la faveur de l'expérience mystique, c'est précisément au moment où l'Autre qui n'existe pas sombre dans son non-être que se révèle l'Autre qui existe.
Que l'Autre qui n'existe pas n'ait pas d'être, se démontre pas la jouissance – et plus précisément par la défaillance de nos jouissances terrestres. Cet Autre dont il faut constater qu’il n'existe pas se révèle en effet incapable de fournir aucune représentation que ce soit de la jouissance. Ce que traduit l'expression : « il n'y a pas de signifiant de la jouissance ». Tout ce que peut fournir l'Autre, en tant qu'il n'existe pas, c'est une représentation de sa défaillance : je ne peux rien pour toi. Il ne peut rien pour moi. Blessure toute symbolique donc.
Par contre, en tant qu'il existe, en tant qu'il se trouve sur la face Dieu, l'Autre nous présente, et cela immédiatement, dès la première rencontre, des blessures bien réelles. La croix en effet se dresse frontalement non pour représenter, mais pour se donner comme sacrifice réel. Et les blessures et les tortures bien réelles du Christ sont données par elle comme valeur d'échange, valeur de rachat, pour toutes les jouissances passées, présentes et à venir. C'est ce qu'on appelle la rédemption.
Toutes nos jouissances sont inscrites dans la chair de l'Autre comme souffrances réelles : c'est au moment où nous percevons ce renversement que nous pouvons comprendre (que nous comprenons), qu'à travers ses blessures réelles, l'Autre existe pour nous.
Que devant la grandeur de cette réalité nous vienne une autre jouissance, nous indique simplement ceci qui est de bon sens : il est impossible que la jouissance, c'est-à-dire le péché dérégulé, nous mette sur la voie de l'existence de l'Autre – elle ne peut nous mettre que sur la voie de son inexistence.
Ce ne peut être que l'autre jouissance, laquelle naît des blessures réelles de l'Autre, en tant qu'elles nous ouvrent, ces blessures, à la guérison, et d’abord à la guérison de l’Autre en nous , [4] – ce ne peut être que cette autre jouissance donc qui nous met sur la piste de l'être de l'Autre, en tant qu'il existe.
Où l’on voit que si le monde des frères annule facilement la face Dieu, Dieu n'a aucune peine à son tour à biffer le monde des frères (mais sans père). Il lui suffit de nous faire sentir une touche de Sa béatitude [5] .
Ce basculement de l’une à l’autre jouissance montre qu’il existe une assez petite intersection – il en existe tout de même une – entre l'Autre qui existe et celui qui n'existe pas. Intersection constituée de ce que l'Autre qui existe a bien voulu y déposer, avant même son sacrifice réel, comme signe de sa Loi : la contradiction, soit le symbole de la négation que l’Autre du prophétisme fournit à l'homme au début de la Genèse, par lequel celui-ci peut s'orienter dans l'être.
Car la négation simple (la contradiction) est le premier mouvement que l'esprit fait vers la vérité avant de la juger conforme à la chose : « ce n'est pas ça » se présente avant « c'est ça » – ce n’est pas l’être, c’est un étant. Et cela n'est pas seulement vrai du point de vue de la psychanalyse, c'est surtout vrai, c'est ici ce qui nous importe, d'un point de vue métaphysique [6].
Car si dans la psychanalyse la négation porte sur des représentations et par là les ordonne, dans la métaphysique hébraïquel la négation fournie par l'Autre du prophétisme porte sur l'être même, visant à ordonner ce dernier selon ce qu'on appelle la loi naturelle. En définissant la jouissance mondaine comme ce qui n'est pas, elle ne fournit pas seulement la négation d'une représentation, mais avant tout la négation de l'être : autrement dit, elle définit le non-être.
Faire fi de cette négation, c'est ouvrir la porte d'un désordre radical : dans le monde des frères (mais sans père), le bonheur humain, c'est-à-dire tout ce qui vient à l'homme comme jouissance (le sexe, mais aussi l'argent, le pouvoir, la position et ainsi de suite jusqu'aux pires addictions et à toutes les sortes de crimes et de violences y compris la guerre), toute jouissance donc est défaillante pour cette raison et, au-delà de l'amertume et du dégoût, vire à la longue au pire.
S'il y a un dernier mot à dire là-dessus, c'est tout de même celui-ci : la vérité de la jouissance c'est l'enfer.
Mais si nous pouvons dire ce dernier mot sur la jouissance, c'est précisément parce que nous ne nous plaçons plus dans la perspective de l'Autre qui n'existe pas, mais déjà dans celle de l'Autre qui existe. Tant il est vrai que si nous connaissons la jouissance, c'est précisément parce que l'Autre qui n'existe pas nous empêche de la penser, et par là ne nous permet pas de penser l'être.
Et penser la perfection de notre nature qui est un bonheur au-delà d'elle-même. Point à préciser.
De sorte qu'il faut dire que l'Autre est le lieu de notre pensée.
L'AUTRE EST LE LIEU DE LA PENSEE
Que l'Autre soit le lieu de la pensée signifie que cette pensée ne m'appartient pas. Le « je pense donc je suis », se corrige en « Il pense donc je suis ». Ce qui donne à l'Autre, celui qui existe comme celui qui n'existe pas, sa position exacte vis-à-vis de l'être.
Non pas sa nature, mais sa position. L'Autre est en position d'information. Il est en position de m'informer. Et, ici, de m'informer par sa parole.
Dès lors, si je pense c'est de son fait, et donc par ses blessures. En effet, soi je pense à ma jouissance et c'est l'Autre, en tant qu'il n'existe pas, qui pense en moi, soi je pense à ses blessures, et c'est l'Autre en tant qu'il existe, qui me parle de notre existence, c'est-à-dire de mon existence en tant qu'elle s'inscrit dans son existence. Dans notre existence.
De sorte que mon « Je » est alors en passe de muter en « Nous ».
Mutation subjective. Ce que les modernes ont appelé sujet, c'est-à-dire une âme malade et vide, réduite à la représentation, au moi, au bruissement des mots, toute déboîtée de son être car n'existant que par ce bruissement, mute alors en « Nous ». Autrement dit, se retrouve dans la position d'une personne qui reprend son esprit, car elle l’avait perdu, se retrouve donc âme en voie de guérison – âme revenue au jardin de la divine familiarité.
Ainsi quand je pense, ou même simplement quand j'essaie de penser à la souffrance d'autrui, non pas pour le spectacle comme on fait aujourd'hui, mais pour sa souffrance à lui, autrui, je me trouve en position de laisser penser l'Autre en moi, en tant qu'il existe.
Qu'il existe ou qu'il n'existe pas, l'Autre est donc le lieu de la pensée. À ceci près que chacun est libre à la fin de choisir entre tel ou tel Autre – c'est-à-dire de donner ou non le primat à l'Autre qui existe. Et ce choix place notre pensée – et sa face de connaître – en telle ou telle position vis-à-vis de notre jouissance.
L'Autre est le lieu nécessaire de notre pensée, mais le choix de l'Autre est libre. En tant que donnée a priori, la dimension de l’Autre, avant même que se pose la question de son existence, est à proprement parler transcendantale [7], c'est-à-dire caractérisée par une neutralité ouverte, qui est ouverture à la rationalité des choses, non dénuée par ailleurs d'une certaine bienveillance, comme l'avait noté Freud lui-même [8].
Notre libre choix se concrétise lorsque se présente à nous la question de savoir si nous acceptons ou non la raison de l'Autre comme prolongement essentiel de notre propre raison [9]. De l'Autre en tant qu'il existe. Ce moment est celui que la métaphysique hébraïque pense dans le livre II de la Genèse : les êtres y sont présentés à l'homme qui les nomme, et le mal (la jouissance primordiale – qui est sur le mode du n'être pas) y est nié (barré).
Prendre le récit de la création de l'homme dans la Genèse pour un mythe est une erreur. Que ce récit soit symbolique, qu'il utilise des simplifications narratives et des procédés particuliers de narration, certainement, mais qu'il soit sans fondement réel, qu'il ne renvoie pas à une réalité historique mais à une pure imagination, certainement pas. La preuve ? Elle s’obtient par l’absurde et apparaît dès que l’homme prend la voie du mal.
Car ce récit indique nettement que la réalité naturelle est orientée par des lois contraignantes qui ne peuvent être transgressées. C'est ce qu'exprime la négation que l'Autre communique à l'homme dans le livre II : « Tu ne mangeras pas des fruits de l'arbre de la connaissance du bien du mal ». Par là, l'Autre fournit à l'homme cette donnée métaphysique, la contradiction, qui oriente l’être selon l’ordre naturel.
Il faut souligner que cette donnée sur l'orientation naturelle de l'être, que l’homme ne peut connaître par lui-même, est communiquée à l'homme de façon extranaturelle. Précisément par le prophétisme hébreu. Celui qui accueille cette donnée, accueille son discours, et accueille du même coup l’Autre en tant qu’il existe.
Et alors que l'inconscient est le discours de l'Autre, en tant qu'il n’existe pas, le prophétisme hébreu est le discours de l'Autre, mais en tant précisément qu'il existe. De sorte que si l’on peut dire que le discours de l'Autre, en tant qu'il n’existe pas, informe notre inconscient, c'est-à-dire les zones équivoques de notre âme, le discours prophétique informe pour sa part notre personne, autrement dit donne à notre conscience une information qui la met sur le chemin du « Nous ».
Par cette information en effet nous avons accès à la raison de l'Autre, à sa rationalité. Rationalité d’abord négative qui indique que le mal n'a pas sa place dans l'ordre naturel – ce qui veut dire que si le mal peut exister, il n'a pas d'être [10]. Et que par conséquent, il est désorientation, dérèglement et source de malheur.
[3] Il n’y a pas de signifiant de la jouissance puisqu’il n’y en pas d’être.
[4] La guérison de l'Autre en nous, ce pourrait être la visée d'une psychanalyse chrétienne. Techniquement, une telle orientation devrait considérer la famille (le triangle familial) comme inscrit dans une autre famille : la Sainte Famille. Cette inscription, ou plutôt inclusion, comme est inclus un ensemble dans un autre, oriente immédiatement le principe de l'analyse vers une sublimation des pulsions, lesquelles peuvent être reversées, de manière systématique, dans un compte des dettes symboliques réévaluées à l'aune du corps et des blessures de l'Autre, en tant qu'il existe (le regard de Jésus, le cœur de Jésus, les plaies de Jésus,...).
[5] Cette remarque n'est pas une simple boutade. Il se trouve que l'un des thèmes du prophétisme contemporain développe massivement l'idée que Dieu doit distribuer universellement une telle touche de sa béatitude. C'est le thème dit de « l'Avertissement » (de Garabandal par exemple). Bien entendu, il n'en résultera pas automatiquement que chacun va éprouver cette béatitude à la manière d'une Sainte Thérèse d'Avila, loin de là ! Tout dépend de la disposition intérieure de chacun. Pour beaucoup, qui ne sont pas orientés vers une telle réception, qui sont entièrement orientés vers les jouissances fraternitaires, cette béatitude risque de se renverser en atroce souffrance d'une touche d'enfer. D’où il vient que nous attendons une sorte de preuve universelle de son existence par l’autre jouissance, preuve promise prophétiquement.
[6] Sur cette question chez Saint Thomas cf. Pierre-Ceslas Courtès, o.p., Être et Non-Être chez Thomas d'Aquin, Téqui, 1998. D'où il sort que la négation (simple) n'est pas une donnée logique, mais qu'elle est de nature métaphysique. Chez Duns Scot, voir sa définition de l'ens comme non-rien, non-nihil, et cf. là-dessus les commentaires d’Olivier Boulnois, Être et Représentation, PUF, 1991.
[7] Ne pas confondre transcendantal et transcendant : au sens de Kant, est transcendant ce qui est au-delà de toute expérience possible. Est transcendantal une connaissance a priori, c'est-à-dire qui précède les données de l'expérience. Ici, l'Autre est donné comme le lieu de la pensée en tant que proposition très générale convenant à tout phénomène de pensée. À charge de vérifier son existence ou son inexistence selon l'expérience dans laquelle il est engagé -- ici mystique ou analytique
[8] À propos de la position du psychanalyste dans la cure, Freud parle de « neutralité bienveillante ».
[9] C'est au fond la question que nous pose la foi.
[10] La jouissance « est » sur le mode du n'être pas. Elle « échappe » par nature au principe de contradiction. Elle se présente comme une monstruosité métaphysique : un « être » qui serait privé du principe de contradiction. Plus exactement : un non-être qui prétend à l'être.
9 commentaires
Je ressens l’obligation d’intervenir immédiatement après avoir mis en ligne ce texte de Jean-Louis Bolte. À mon sens, il ne saurait exister de « psychanalyse chrétienne », comme tendrait à le suggérer l’auteur, pour la simple raison que les prémisses mêmes de la psychanalyse sont anti-chrétiennes. Jean Borella, dans « La crise du symbolisme religieux », présente la psychanalyse comme une « anti-religion » dans la mesure où la « fonction symbolique », au sens psychanalytique, est une négation de la valeur métaphysique du symbole. L’entreprise psychanalytique vise à couper l’être humain autant du Réel transcendant que du réel malfaisant (l’inconscient « scientifique » est substitué au diable de la « superstition religieuse »). Autrement dit, pour reprendre la terminologie de Bolte, la psychanalyse est une machine de guerre contre Dieu et l’on voit mal comment elle pourrait « nous [apporter] des outils d'analyse considérables [...] sur le mal "aujourd'hui" ». Si ce texte de Jean-Louis Bolte trouve néanmoins sa place sur notre blog, c’est parce nous le lisons comme la possibilité d’une contre-psychanalyse qu'il reste encore à élaborer.
Alain Santacreu
"Le prophétisme hébreu est le discours de l'Autre" lit-on. Pourrait-on en avoir des exemples chez Isaïe, Jérémie, Ézéchiel par exemple? Merci d'avance.
Jean-Marie MATHIEU
Cher Jean-Marie Mathieu,
Vous me demandez d'illustrer la proposition : « Le prophétisme hébreu est le discours de l'Autre ».
Observons d'abord que lorsque Lacan dit que « l'Autre n'existe pas », il veut dire qu'il est inconsistant -- c'est-à-dire (en un sens) qu'il ne peut m'assurer d'aucun bonheur. C'est ce dont témoigne le discours de l'Autre, en tant qu'il n'existe pas. Ce discours, c'est celui que la psychanalyse appelle l'inconscient.
Par contre, dire : « Le prophétisme hébreu est le discours de l'Autre » c'est dire qu'il existe un Autre qui m'assure de mon bonheur.
Cet Autre me garantit le bonheur en tant que son discours est vérité. Vérité qui commence dans la souffrance et sur laquelle on peut revenir. Mais il est évident qu'avec le Nouveau Testament le régime de ce discours va changer, puisque l'Autre va se présenter avec un corps et un visage, celui du Christ.
Tout d'abord, comme vous le savez, le prophétisme se présente comme un discours. Depuis Spinoza, la modernité considère que ce discours est issu de l'imagination du prophète. Ce n'est évidemment pas ce que je dis ici : je dis au contraire que la parole prophétique prend sa source dans un autre « émetteur » que le prophète lui-même, lequel ne fait que recevoir et transmettre un message qui n'est pas de son cru. Il existe toutefois certains principes constants de cette transmission qui montrent le circuit effectué par ce discours, circuit où se joue l'écart entre l'Autre proprement dit et son interlocuteur.
De l'émission à la réception finale, on peut compter quelques relais au cours duquel le discours de l'Autre prend sa forme ultime (mais aussi son éventuelle distorsion) :
1°) L'émetteur, c'est-à-dire l'Autre proprement dit, peut se manifester au prophète sous plusieurs formes : théophanies (Isaï, Abraham), interlocution (Moïse, Samuel), motion intérieure... Le jeune Samuel par exemple entend une voix qui l'appelle par son nom et il se trompe d'abord en croyant que c'est la voix du prêtre Elie qui dort à ses côtés.
2°) La transmission entraîne nécessairement une perte d'information. La théorie de l'information traduit ceci en disant qu'« il y a du bruit dans le canal ». Dans le cas du prophétisme, le canal emprunté n'étant pas le chemin habituel de la perception naturelle chez l'homme, on comprend qu'il s'accorde plus ou moins bien avec la nature commune de notre intellect. Cette question relève de la théologie ascétique et mystique.
3°) Le récepteur, c'est-à-dire le prophète, va lui-même influencer le message dans la mesure où il va lui imprimer la forme de sa culture, de sa langue (Jean), de sa personnalité (Paul), de ses réticences (Jonas, Amos).
4°) La retransmission peut à son tour augmenter « les bruits dans le canal » - par exemple si le message est retransmis longtemps après (ainsi l'écriture tardive de certains évangiles).
5°) La réception finale, au niveau de chacun de nous, est le dernier frein d'un discours qui malgré tout, après avoir traversé tout un feuilletage de faiblesses humaines, reste encore soumis à notre confiance.
Bien amicalement
Jean-Louis Bolte
Merci pour ces développements intéressants. Pour nos lecteurs, il serait bon de préciser la relation entre Dieu, le Tout Autre, et ses créatures comme causes. Un acte accompli par un prophète hébreu inspiré, Isaïe par exemple, est aussi accompli par Dieu, aussi étonnant que cela puisse paraître. En effet, Dieu et l'écrivain inspiré accomplissent cet acte simultanément, chacun à 100%, car les deux auteurs de l'action se situent à deux niveaux d'êtres différents. Le prophète Isaïe ne peut agir, et qui plus est agir avec sa pleine liberté humaine, que parce que Dieu, bien évidemment, l' a créé libre, lui a donné cette liberté. L'action humaine n'entre donc pas du tout en concurrence avec l'action divine. Voilà une perspective métaphysique qui doit beaucoup à la vision thomiste du rapport des causes. Sur ce thème passionnant et très important, on pourra se reporter au livre du P. Charles MOREROD o.p. : "Œcuménisme et philosophie" (Éd. Parole et Silence, 2004, pp. 72-76)
Jean-Marie MATHIEU
Cher Jean-Louis Bolte,
J'ai spécialement apprécié votre application à la psychanalyse de ces "Autre qui n'existe pas" et "Autre qui existe" - distinction métaphysicienne par excellence -, que vous releviez le caractère nominaliste de la psychanalyse, ainsi que vous évoquiez la notion de guérison spirituelle [de l'Autre en nous].
Mais, dans le cadre de réflexion différentes, peut-être aurais-je plutôt parlé de "guérison de nous par l'Autre" et, s'il y a une guérison en deux temps, le premier temps est probablement individuel, métanoïaque, de type virginal (Fiat) mais le second temps collectif, christique (cf. les membres et la tête, les sarments et la vigne).
Par ailleurs - et je vous poserais la question de la compatibilité de nos réflexions respectives -, dans le cadre d'une métaphysique du sexe, sur laquelle je travaille, je vois nettement, me semble-t-il, l'autre (horizontal) comme indication ou appel de l'Autre (vertical), ou bien comme simplement conduisant de l'un à l'Autre, et l'acte lui-même comme un apprivoisement de la mort (physique et de l'ego) et la constitution d'un nous extensible à l'humanité, "nous" dans lequel don et aban-don sont synonymes (donner et recevoir indistinguables) et, toute proportion gardée, analogique aux relations intra-trinitaires. Dans Celles-ci, la possibilité de Personnes en Dieu peut-être indiquée comme l'Une "se vidant" entièrement dans l'Autre et réciproquement. Toujours selon cette même analogie pourrait-on même peut-être montrer comment cet acte permet à une relation de devenir une personne (à l'image de l'Esprit Saint) et à une personne de se découvrir relation à tout autre (tel le Fils).
C'est au vu de vôtre "Toutes nos jouissances sont inscrites dans la chair de l'Autre comme souffrances réelles" que je pose cette question.
Cher Alain Santacreu,
Partons, si tu le veux bien, de saint Jean : « Vous êtes dans le monde mais vous n'êtes pas du monde ».
J'ai mis en œuvre cette opposition de l'Evangile en la transposant dans la question concrète de la filiation, question stratégique de l'heure : j'oppose, comme tu le sais, le monde des frères (mais sans père) et le monde des fils. Je replace donc cette antithèse de Jean dans sa tension historique actuelle, marquée, entre autres, par la déconstruction du père, corrélative à la « construction » de la « fraternité » globale – ce que j'appelle le fraternitaire (qui est horreur).
Donc ceci : nous vivons dans l'horreur du monde des frères (mais sans père), mais nous sommes du monde des fils. Tout est là.
Ma position vis-à-vis de la psychanalyse se résume à ceci : elle nous donne des outils pour analyser le monde des frères (mais sans père), autrement dit des outils critiques, purement conjoncturels, en particulier le concept de jouissance, venu tout droit de saint Paul que je ne me suis pas gêné pour réemployer à ma façon.
D'un autre côté, comme je l'ai déjà souligné dans mon texte, la psychanalyse ne peut énoncer sur le monde des frères (mais sans père) que des vérités négatives. Et c'est bien normal, puisque celui-ci (le monde des frères), dans son souci de déréguler la jouissance, a ôté volontairement la négation dont la barre ornait le Décalogue. Et comme dit Lacan « ce qui est rejeté du symbolique (c'est-à-dire de la parole et du langage) revient dans le réel ». Autrement dit dans notre cas, l’abandon du Décalogue se renverse en catastrophes.
Or, d'une certaine manière, on peut dire que la psychanalyse a au contraire respecté cette barre de la négation, et c'est bien parce qu'elle a respecté les détours de la loi symbolique, étroitement tressée à l'imaginaire et au réel (réel de la jouissance s'entend), qu'elle a su formuler les vérités purement négatives du monde des frères (mais sans père), retrouvant dans ses formules, par sa puissance critique, la négation de la loi naturelle rejetée par le monde des frères.
Ainsi cette formule : « l'Autre n'existe pas » – sans oublier d'ajouter aussitôt « dans le monde des frères (mais sans père) ».
Que l'Autre n'existe plus dans le monde dans lequel nous vivons, c'est un fait.
C'est un fait que, dans ce monde irrespirable, la figure d'autrui, du prochain, du semblable et bien sûr, du Dieu personnel se sont éteintes sous nos yeux : la formule « l'Autre n'existe pas » est donc une vérité de fait. Quoique conjoncturelle et locale.
Que l'Autre existe, aux yeux de qui est du monde des fils, c'est également un fait – un fait qui commence dans la figure du Christ souffrant. Pas étonnant que les frères aient fait tout ce tapage quand Mel Gibson nous a servi « La Passion du Christ ». Il y a des souffrances qu'il faut taire, justement parce qu'elles font se lever l'image de l'Autre, en tant qu'il existe.
Et voici : l'Autre, en tant qu'il existe, rend consistante la figure du monde des fils, laquelle apporte avec elle « la guérison dans ses rayons », comme dit la Bible. Et du coup, sonne le glas du monde des frères (mais sans père).
Ces effets sont liés à la puissance de dévoilement de l'Autre (en tant qu'il existe). Cette question sera l'objet de la partie II de mon article : « Cieux nouveaux, Terre nouvelle ».
Bien amicalement
Jean-Louis
Cher Bruno Bérard,
Vous soulevez, à mes yeux, trois problèmes qui m'interpellent particulièrement :
1) La distinction entre la guérison de l'Autre en nous et la guérison de nous par l'Autre (en tant qu'il existe) ;
2) La question des rapports entre le grand Autre et le petit autre ;
3) La question de la constitution d'un « nous extensible à l'humanité ».
1°) Quand je parle de guérison de l'Autre en nous, c'est qu'il s'agit de rétablir en nous la dimension de l'Autre en tant qu'il existe. Dans le monde des frères (mais sans père) il n'y a d'Autre que celui qui n'existe pas. La dimension de l'Autre, en tant qu'il existe, a été mise au placard, ou du moins rendue plus ou moins inaccessible par la dérégulation de la jouissance -- ce qu'il faut appeler, je pense, je le justifierai ailleurs, politique de la jouissance.
La politique de la jouissance nous prive de la possibilité de choisir dans l'Autre -- elle nous impose le « choix » (la contrainte) de l'Autre qui n'existe pas. Il lui suffit pour cela de fermer le chemin de la foi qui, permettez-moi de le souligner avec vous (quand vous parlez de la formation de la personne) , est le chemin d'une relation ( et non d'une simple croyance). Le ressort de la politique de la jouissance tient au fond en ceci : rompre les relations personnelles afin de développer les différentes formes de contrôle individuel.
Pour nous, fils, il s'agit de réouvrir le chemin de la foi, quitte à chacun de l'emprunter ou non. C'est en cela que consiste la guérison de l'Autre en nous. Mais attention ! Cette guérison a lieu dans une conjoncture particulière, car ce chemin de la foi est désormais celui de notre transition vers la civilisation de l'amour, autrement dit de la transition d'une civilisation du Moi à une civilisation du Nous (pour reprendre ici un trait de votre propre problématique).
Parler de la guérison de nous par l'Autre (en tant qu'il existe) est une tout autre question, liée celle-ci à la transition dont je viens de parler (voir là-dessus ma prochaine livraison, la partie II de « l'Autre qui existe et celui qui n'existe pas »).
2°) S'agissant des liens entre l'Autre et l'autre, il faut là aussi distinguer, me semble-t-il, entre l'Autre qui existe et celui qui n'existe pas. Comme je disais à Alain Santacreu : dans le monde des frères (mais sans père) il ne peut y avoir de petit autre pour la bonne raison que le grand Autre ne peut le fonder. Le petit autre (qui pourrait être le prochain, ou autrui) se décompose toujours en épluchures de jouissance. Et la relation se réduit à une relation d'objet, le partenaire sexuel s'évanouissant en objet de jouissance. Et donc l'Autre, en tant qu'il n'existe pas, ne peut localiser aucun autre : tout juste nous laisse-t-il entrevoir les talons de l'objet de notre jouissance qui fuit vers son prochain rendez-vous manqué.
Certes, il y a un faux grand Autre, historiquement récurrent, qui tente en douce de faire croire à son existence, Dieu de la gnose par ci, Dieu des philosophes par là, bientôt Dieu « incarné » du New Age, qui ne tardera pas l'un de ces jours à nous être agité sous le nez, aux fins de tromperie. Mais c'est là une autre question, qu'il faudra traiter ailleurs. Ce n'est certes pas lui, ce faux grand Autre, qui risque de donner consistance à autrui.
Le prochain n'est consistant que parce que l'Autre, en tant qu'il existe, lui donne consistance. De même, l'épouse n'est consistante que parce que l'Autre, en tant qu'il existe, lui donne consistance. Tout cela est écrit dans le Décalogue -- et confirmé dans l'Évangile qui y ajoute les preuves de l'amour (mais ici, éros n'est plus solitaire, mais couplé avec agapè). C'est pour cela que dans la Bible la femme existe, que l'amour existe, etc.... Il est vrai que nous sommes là dans le monde des fils. Dans le monde où l'Autre n'est pas seulement une idée, parce qu'avant tout Il parle : « Je suis qui je suis ».
3°) En ce qui concerne la question que vous soulevez de l'assomption du « nous », c'est à mon sens une question décisive. Nous avons vécu sous le régime du « moi », il s'agit maintenant d'entrer dans celui du « Nous ». C'est une question qui a mon sens est liée à la transition dont je parlais plus haut.
Un des aspects de cette question peut être abordé sous l'angle de la mystique. Prenons l'exemple du prophète.
Le prophète est quelqu'un qui se trouve tranquille dans son coin et qui brusquement, se voit interpellé par l'Autre (en tant qu'il existe) et envoyé en mission ici ou là. Il est bien naturel que sur le coup, il grogne et il renacle. Voyez Jonas, voyez Amos. Parfois il peut être préparé, mais pas toujours. Car le voici tout à coup à devoir penser en termes de « nous ».
Du point de vue mystique, il se trouve transporté d'un seul coup dans la 5e demeure du Château Intérieur (pour prendre le classement mystique de Ste Thérèse d'Avila), ce qui correspond à l'union de volonté dans le classement de Saint Jean de la Croix. Chose pas très simple dans la mesure où la préparation pour parvenir à un tel degré mystique ne se fait tout de même pas, en général, du jour au lendemain. D'autant que après ce cinquième degré, il n'en reste plus que deux (la nuit de l'esprit, et le mariage spirituel).
Qu'est-ce que l'union de volonté ? C'est l'abandon du « je » pour le « nous ». Et je dirai pour aller vite : c'est le « nous » minimum pour pouvoir dire « Nous ».
Tout cela pour dire que la condition minimum du « nous » me semble d'abord « verticale » pour employer vos termes, avant même d'envisager toute autre dimension. Là encore, c'est l'Autre (en tant qu'il existe), qui commande le système des relations personnelles, et donc le système de l'énonciation.
J'arrête là pour ne pas être trop long.
Bien amicalement,
Jean-Louis Bolte
Cher Jean-Louis Bolte,
Merci bien vivement pour vos réponses et commentaires qui non seulement m'ont permis de voir comment nos réflexions respectives se coordonnent mais aussi m'ont fait mieux comprendre votre exposé. J'attends donc avec grand intérêt votre Partie II.
Bien amicalement
Bruno Bérard
Cher Jean-Louis,
À propos de ce commentaire: "Le prophète est quelqu'un qui (...)Du point de vue mystique, (il) se trouve transporté d'un seul coup dans la 5è demeure du Château Intérieur" (cf. 3°), il convient de citer ces lignes magnifiques du mystique saint JEAN de LA CROIX, docteur de l'Église:
"Les œuvres surnaturelles et miraculeuses méritent de la part de l'âme peu ou point de joie, car (...) elles sont à l'homme de peu d'importance puisqu'elles ne peuvent par elles-mêmes lui servir de moyen pour s'unir à Dieu: seule la charité unit à Dieu. Elles peuvent même s'exercer sans que l'âme soit en grâce et sans qu'elle ait la charité, soit qu'elles aient véritablement Dieu pour auteur, ainsi qu'il advint au faux prophète Balaam et à Salomon, soit qu'elles soient l'œuvre du démon comme Simon le Magicien nous en est un exemple, soit enfin qu'elles soient l'effet de quelque secret de la nature.
Si quelques-unes de ces œuvres merveilleuses pouvaient être utiles à celui qui les opère, ce seraient celles qui procéderaient de Dieu. Et cependant, st Paul nous apprend que celles-là même sont de peu de valeur (...):"Quand je parlerais le langage des hommes et des anges, si je n'ai pas la charité, je suis comme un airain sonnant et une cymbale retentissante. Et quand j'aurais le don de prophétie, que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j'aurais toute la foi (...), si je n'ai pas la charité, je ne suis rien."(1 Co 13, 1-2)
(...) "Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en votre nom?" Jésus-Christ adressera cette réponse:"Retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquité!" (Mt 7, 22-29)
Ainsi donc l'homme doit se réjouir, non d'avoir reçu et exercé des dons de ce genre, mais d'en avoir retiré un fruit spirituel, c'est-à-dire d'avoir en l'exerçant servi Dieu en charité véritable, en quoi consiste le fruit de la vie éternelle. (...)
L'amour de Dieu n'est parfait que dans celui qui est fort et attentif à retirer sa joie de toutes les choses créées, pour la placer uniquement dans l'accomplissement de la volonté de Dieu.
C'est en suivant cette ligne de conduite que la volonté s'unit à Dieu dans ces dons surnaturels."
( La Montée du Carmel, trad. Mère Marie du Saint Sacrement, Bar-le-Duc, Imp. St-Paul, 1933, chap. XXIX, pp. 387-388)
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