La Vérité si je mens !
jeudi, 27 septembre 2012
Jacques Maritain a quatre-vingts ans quand il publie Le Paysan de la Garonne. Le philosophe, constatant que trop de chrétiens ont tendance à s’agenouiller devant « le monde » – qu'ils conçoivent seulement dans ses structures naturelles et temporelles – y dénonce les erreurs caractéristiques de la chrétienté postconciliaire, alors qu'il fut lui-même l'un des principaux thuriféraires du Concile :
« On comprend, écrit-il ironiquement, pourquoi il y a trois choses dont un prédicateur intelligent ne doit jamais parler et auxquelles il faut penser le moins possible, quoi que l’on ait chaque dimanche à réciter le credo (mais il y a tant de mythes là-dedans ; et puis on peut toujours répéter une formule – même en français – sans y arrêter sa pensée).
La première chose à laisser dans l’ombre, c’est évidemment l’autre monde (puisqu’il n’y en a pas). La deuxième chose à laisser dans l’ombre, c’est la croix (elle n’est qu’un symbole des sacrifices momentanés demandés par le progrès). La troisième chose à laisser dans l’ombre, et à oublier, c’est la sainteté – s’il est vrai qu’au principe de la sainteté il y a au fond de l’âme (même si le saint reste plongé dans les activités du monde) une rupture radicale avec le monde (au sens où l’Évangile entend ce mot) et le faux dieu du monde, son dieu mythique, l’Empereur de ce monde… »[1]
Et Maritain de signaler aussi la tendance obsessionnelle de la plupart des chrétiens et, en particulier des prêtres et des religieux (dont le nombre est alarmant) « à donner à l’efficacité la primat sur la vérité. Qu’importe si les moyens dont on use jettent l’esprit sur de fausses pistes, demandent aux techniques et à la psychologie de groupes de mieux faire que les vertus théologales – à l’instinct grégaire de mieux faire que les dons du Saint-Esprit – à l’épanouissement de la nature de mieux faire que cette pauvre vieille humilité… Aux célébrations communautaires de mettre au rancart la recherche du silence et de la solitude – aux fables et charlataneries du jour de donner au catéchisme un peu de vitalité – et surtout à la généreuse dépense de soi dans les œuvres et à un incessant dialogue avec tout le monde de délivrer de tout effort de concentration intellectuelle. Qu’importe, du moment que ces moyens sont dynamiques – il n’y a que ça qui compte – et qu’ils servent efficacement à rassembler les hommes dans le troupeau du Bon Pasteur. C’est là justement une absurdité flagrante puisque le Bon Pasteur est justement la Vérité même… Le jour où l’efficacité prévaudrait sur la Vérité n’arrivera jamais pour l’Église car, ce jour-là, les portes de l’enfer auraient prévalu sur elle… » [2]
Certes, quand tout semble perdu, il reste le recours à l’Espérance ! mais qui pourrait encore croire qu’une « nouvelle évangélisation » – quel plat pléonasme ! – puisse se faire dans la perspective de la Vérité plutôt que de l'efficacité, alors que toute la praxis vaticanesque obéit à une logique d'État ?
NOTES
[1] Jacques Maritain, Le paysan de la Garonne. Un vieux laïc s'interroge à propos du temps présent, Desclée de Brouwer, 1966, p. 90.
[2] Jacques Maritain, op. cit, pp. 140-141.
11 commentaires
Pourraient y croire ceux qui ont la foi, précisément.
Je me demande bien comment en 1966, Maritain pourrait avoir été "longtemps" un thuriféraire de la "modernité postconciliaire", sachant que le Concile est clos en 1965, soit moins d'un an avant sa publication.
Mais les légendes sur Maritain vont toujours bon train, qu'elles soient colportées par les anciens d'AF ou par les cathos de gauche.
OK, je suis prêt à supprimer le « post » (pas le vôtre évidemment !) et dire tout simplement que Maritain a été un thuriféraire de la chrétienté conciliaire. Toutefois, vous m’accorderez que, dans son ouvrage, Maritain met en garde contre ce qu’il voit poindre à l’horizon et que l’on peut en toute bonne foi qualifier de chrétienté postconciliaire. Je vous ferai remarquer, en passant, que je parle bien de « chrétienté postconciliaire » et non pas de « modernité postconcilaire », comme vous l’écrivez indûment mais de façon fort révélatrice. Sans doute est-ce du concile proprement dit dont Maritain fut le thuriféraire ; mais, dire que Vatican II n’aurait rien à voir avec la chrétienté postconciliaire, ce serait comme soutenir que Marx n’a rien à voir avec Staline.
Pourquoi dites-vous que la "nouvelle évangélisation" est un "plat pléonasme" ?
Parce qu'Evangile signifie "Bonne nouvelle" (du latin evangelium empr. au gr. evaggelion).
La Bonne nouvelle, à l'image de la Vérité, est unique et il est absurde de parler de nouvelle Bonne nouvelle, oseriez-vous parler d'une nouvelle Vérité ? "Nouvelle évangélisation" est une expression plus politique que spirituelle, pléonasme plat sans la verticalité insufflée par la double spiration du Saint Esprit.
Pourquoi ce titre de (mauvais) film ?
Popularisée, en effet, par le titre d’une série de films à grand succès, cette locution est la réduction de « la vérité, si je mens je vais en enfer », expression très ancienne que l'on trouve en français dès le XVIème siècle. Ceci dit, je pense que la "Nouvelle évangélisation" est, hélas ! un très mauvais film de série B.
Cher Alain Santacreu,
Comment pouvez-vous vous dire catholique et ne pas croire en cette Nouvelle évangélisation qu'appelle notre pape Benoît XVI ?
Cher Lucius,
C'est précisément parce que je me veux catholique que je ne peux concevoir un seul instant que ces mêmes clercs, si bien décrits par Jacques Maritain, puissent se transformer soudainement en apôtres d'une évangélisation fondée sur la Vérité ; ils ne sont que des participants de cette "nouvelle évangélisation" pragmatiste qui, selon moi, n'est qu'une caution (pseudo ?) spirituelle à ce "nouvel ordre mondial politique et économique" dont parle le pape Benoît XVI dans son homélie du 6 janvier 2007 : http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/homilies/2007/documents/hf_ben-xvi_hom_20070106_epifania_fr.html
Au contraire, je crois pour ma part que sans le Concile la chrétienté post-années 60 aurait été bien pire, à un point tel que vous ne pouvez l'imaginer. Les curetons "progressistes" n'ont pas attendu Vatican II pour retourner leurs autels, saccager comme les Jésuites leur enseignement génial séculaire, ni vouloir accompagner "les signes des temps" d'un renoncement à toute sacralité.
Quant à la nouvelle évangélisation, vous remarquerez que nul n'a parlé de nouvel Evangile, donc de nouvelle Bonne nouvelle. il s'agit simplement de la répandre à nouveau. What else ?
Ho capito, fratello JG, mais vous ne pouvez utiliser votre argument « tarte à la crème » pour soutenir que Notre Seigneur Jésus-Christ ait demandé de dialoguer et non pas de convertir ; or, c’est bien le dialogue, selon l’esprit conciliaire, que prône la « nouvelle évangélisation ». Certes, celle-ci n’est pas un nouvel évangile mais elle repose sur un concile duquel est né une « Église nouvelle » qui se targue de s’ouvrir à la nouveauté du monde, non par une nouvel appareil doctrinal (je veux bien vous l’accorder, quoique…) sinon par une « façon » nouvelle de se proposer à l’homme d’aujourd’hui. Vous ne pouvez nier, mon cher JG, que le courant protestataire postconciliaire a généré, au sein de cette Église nouvelle, une légion de tendances rationalistes, illuministes, charismatiques, existentialistes, etc., toutes destructrices du message évangélique, et qui se sont diffusées, en faisant tache d’huile (pas très sainte) au nom de ce concile même qu'il ne faudrait pas vénérer au dépens de la vérité.
Il est absurde de prétendre "répandre à nouveau" cette Bonne nouvelle qui est l'annonce du passage de l'homme dans l'éternité. La notion de "nouvelle évangélisation" n'est que politique et sans fondement théologique. À travers cette longue citation de Jacques Maritain, j’ai souhaité montrer, de façon explicite, combien l'auteur de "L'humanisme intégral" était conscient de la subversion de l’esprit conciliaire qui s’est produite après Vatican II. Le parallèle de Maritain avec le cardinal Ratzinger est évidemment sous-entendu car l’un et l’autre ont été des thuriféraires influents du Concile. Comme Maritain, Ratzinger a dénoncé ce qu’il a appelé le « contre-esprit de l’esprit du Concile ». Sur cette critique lucide de Ratzinger, on consultera ses réponses à Vittorio Messori dans « Entretien sur la foi ». Dès 1985, le cardinal ne pouvait que constater l’étouffement de l’inspiration conciliaire qui introduisait une logique destructrice, la "zizanie" au sein même de l’Église. Toutefois, selon le futur pape Benoît XVI, l’origine des contradictions dont souffrait l’Église post-conciliaire ne résidait pas dans le Concile mais dans une interprétation erronée et idéologique de celui-ci. Cette déclaration ex cathedra, aussi juste soit-elle, a paradoxalement provoqué une sorte d’enthousiasme acritique, laudateur de Vatican II, comme nous pouvons nous en apercevoir aujourd'hui dans l’auto-satisfaction unanime affichée par le Synode actuel ; si bien, qu’au bout du compte, il apparaît que l’ « esprit » conciliaire et son « contre-esprit » ont bel et bien passé une sorte d’alliance tacite et pragmatiste qui décrédibilise d'autant plus l'idée de « nouvelle évangélisation ».
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