Luc de Goustine
La parabole de Notre-Dame
Saint Léger Éditions, 2021
224 p, 17 €
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En compagnonnique
mais divergent accord
ALAIN SANTACREU
Le temple chrétien est le corps de l’Homme-Dieu, le corps du Christ fait homme. L’incendie de Notre-Dame est venu nous rappeler cette réalité anthropomorphique, tant architecturale que spirituelle, des édifices ecclésiaux qui constellent la France. Telle est la signifiance première de La parabole de Notre Dame de Luc de Goustine : nous renvoyer au corps du Christ. Si le temple, l’église comme bâtiment, représente pour l’assemblée chrétienne (l’ecclésia) le Corps divin, cette assemblée elle-même en constitue le Corps mystique : l’Église.
D’autre part, l’incendie de Notre-Dame, qui eut lieu « un lundi, ce 15 avril 2019, un lundi de la Semaine sainte, le Lundi saint », aura ravivé dans la conscience chrétienne ce sens de l’eschatologie que la plupart des croyants avait oublié, se laissant orienter par le sens de l’Histoire. Pourtant, comme l’explique notre auteur, l’eschatologie est une des grandes vérités de la foi chrétienne : l’acheminement de l’humanité sur la voie de la prédestination divine.
Notre époque marque la fin de la modernité. En « crise » depuis la fin de la grande guerre de 14-18, la pensée moderne aura été le théâtre d’une lutte entre deux visions antagonistes de la destinée humaine : l’eschatologie et la contre-eschatologie de l’Histoire. L’avancée de l’esprit dans l’Histoire, c’est ce qu’Henry Corbin nomme « hiéro-histoire » : Dieu a fixé les jalons par où doit passer le monde qu’Il oriente, sans pour autant porter atteinte à la liberté, cet extraordinaire et terrible privilège de l’homme. L’eschatologie est la création du monde transformée par la Révélation de Dieu.
Pour Luc de Goustine, cet incendie aura été une dramaturgie de la Passion mise en scène par le divin lui-même : « Qu’a fait l’incendie d’en-haut, ce Lundi saint, par son irruption dans cette anatomie monumentale ? Il a fait s’écrouler la flèche à base octogonale qui prenait appui sur les piliers du transept. Celle-ci s’est tordue, détachée de la charpente en feu, a transpercé la voûte par son arc nord ; pas à gauche, emplacement du cœur sacré laissé intact, mais “au côté”, précisément au poumon droit dans lequel le soldat romain pour vérifier que l’homme était bien mort, a fiché sa pointe de fer. » (p. 28) Et l’auteur de nous rappeler que le trésor de Notre-Dame de Paris conserve la pointe de fer de la lance de Longin, ce centurion romain qui la plongea dans le cœur du Crucifié.
Luc de Goustine entend le sens parabolique de la description des faits tels que le père Fournier, l’aumonier des pompiers de Paris les a rapportés devant la presse. Ce prêtre, émérite soldat du feu, a sauvé des flammes la Sainte Couronne et le Saint Sacrement, gestes héroïques que notre auteur nous expose dans un style majestueux et plein de ferveur : « Ainsi pérégrinait notre curé pompier sous les arches ardentes, priant le Corps béni qu’il serrait dans ses bras de sauver le logis de Sa mère. » (p. 16) Pour Luc de Goustine, ces faits sont des signes qu’il nous faut interpréter comme une parabole.
En compagnie de l’auteur, le lecteur va pérégriner dans l’édifice sacré, sur un chemin scandé par le temps liturgique. Luc de Goustine déchiffre le cycle de notre humanité adamique à partir de ce qu’il appelle la « Grande Semaine », c’est-à-dire la « Semaine Sainte » perçue à l’échelle du temps divin. Cette « Grande Semaine » de sept millénaires se réfère notamment aux paroles de Pierre : « […] il est une chose, bien aimés, que vous ne devez pas ignorer, c’est que, devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour. » (2 Pierre 3,5). Ainsi, les quatre premiers jours célestes auraient été ceux du Père, les deux suivants ceux de Fils et le septième jour, le dimanche (dies dominici), sera celui de l’Esprit. Ces différentes séquences entrent en correspondance avec les ères zodiacales qui se sont succédées durant ces sept mille ans : Taureau, Bélier et l’ère christique du Poisson qui sera suivie de celle du Verseau. L’utopisme joachimiste de notre auteur se dévoile dans cette attente du septième jour : « Dies septimus nos ipsi erimus », selon la sentence de la Cité de Dieu d’Augustin.
La doctrine actuelle de l’Église catholique, telle qu’elle est précisée dans la Constitution dogmatique sur la révélation divine de Paul VI, est que « l’économie de l’Ancien Testament était surtout ordonnée à préparer la venue du Christ [...], à l’annoncer prophétiquement et à le signifier par diverses figures » (IV, 14). Cette doctrine, à laquelle souscrit sans faillir Luc de Goustine, demeure inadmissible tant pour un juif que pour un disciple radical de Paul. D’où le rapprochement avec le marcionisme que l’on rencontre chez certains penseurs juifs modernes, par exemple Ernst Bloch (L’Esprit de l’utopie et L’athéisme dans le christianisme). Ceux qui me lisent le savent, je suis personnellement porté par cette conviction de la rupture ontologique avec l’ancienne alliance, aussi mon esprit hérésiarque ne peut totalement adhérer à l’utopisme joachimiste de Luc de Goustine, à son attente fervente du septième jour qui sera, selon Augustin, « le sabbat qui n’aura point de soir mais que doit terminer un dimanche éternel ». Le Talmud est formel sur ce point : le Messie hébreu n’est pas le Christ chrétien.
Nous serions aujourd’hui dans le « Samedi de l’Humain », ce « Jour de Yahvé » dont a parlé Raoul Auclair qui fut un maître spirituel pour Luc de Goustine (et aussi pour moi-même, à une certaine époque de ma vie).
Luc de Goustine adopte une herméneutique perspectiviste dont la ligne de fuite demeure l’Ancien testament : « Sur ce testament ancestral a pu se greffer l’Histoire nouvelle. » (p. 101) L’Église de l’Occident médiéval, celle de Notre-Dame, s’est plutôt construite contre Paul qu’à partir de lui. Aussi, ne sera-t-on pas étonné que, dans La Parabole de Notre-Dame, Paul soit comme effacé du « temps de l’Église. » La présence de Paul est très discrète tout au long du livre, en comparaison à l’omniprésence de Pierre.
À Antioche, Paul s’est opposé à Képhas (Pierre) qui s’était rangé du côté de Jacques, pour le zèle envers la Torah contre l’infidélité paulinienne. Les Juifs se sont en effet séparés des Grecs au moment des repas sur la pression des « gens de Jacques » (Ga. II, 12) : « Mais quand Képhas est venu à Antioche, je lui ai résisté en face, car il était à blâmer. » (Ga. II, 11)
Le refus paulinien de la séparation est nécessairement le refus de la Torah ; puisque le premier objet de celle-ci est précisément de séparer le peuple hébreu du reste de l'humanité. Ici réside l'impossibilité du compromis de Jérusalem entre Pierre et Paul (Ga. II, 11).
En cela, mon accord avec Luc de Goustine ne peut que diverger. Divergent accord mais fraternellement harmonique : d’une même octave de lumière. Car je reconnais et je loue l’importance de ce livre qui provoque chez le chrétien l’anamnèse de l’Église des derniers temps. En cette Église-là, je suis le compagnon de l’auteur.
Divergence de la pérégrination sur la Nef et compagnonnage au pied de la Croix du Transept, seul lieu qui importe, où l'on rencontre Celui qui est la reliance entre les hommes, Celui qui donne le « Pain de vie ». Rencontre que Luc de Goustine nomme la « leçon du Transept » et qui est aussi la rencontre de l'auteur et de son lecteur.
1 commentaire
C'est dans la cathédrale de Bourges, qui n'a pas de transept, que se transmet ce que je nommerai : la leçon du non-transept, le don de la part féminine de Dieu (cette Sainte Esprit que l'Église catholique de Rome a trahie et que les traditions demeurées fidèles au Livre nomment Rouah, Fitra ou Sophia.)
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