"Le temps des peurs" de Michel Maffesoli
lundi, 30 janvier 2023
Michel Maffesoli
Le temps des peurs
Le Cerf, 2023
212 p., 20 €
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La lumière qui s’éteint et celle qui renaît
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Alain Santacreu
“J’ai vécu partout, sauf parmi les intellectuels de cette époque”
– Guy Debord
Avec la fausse pandémie fomentée par les élites mondialistes, les peuples ont subi un terrible viol tant psychique (le confinement) que physique (les injections) auquel la plupart des intellectuels ont apporté leur consentement zélé. À l’image de la trahison de leurs prédécesseurs du 20e siècle[1] qui optèrent sans vergogne les uns pour le fascisme brun, les autres pour le fascisme rouge, ceux de cette première moitié du 21e siècle se sont rangés d’un seul élan aux côtés des milices médiatique et policière de la tyrannie sécuritaire. Seuls quelques rares penseurs sont restés dignes et intègres, refusant la corruption et le mensonge généralisés, ils sont le petit reste qui a réussi à s’extirper de ce mausolée de la forfaiture où sont enterrés les renégats[2]. Le sociologue Michel Maffesoli est l’un de ces honnêtes survivants. Son triptyque récent[3] vient éclairer, dans la continuité de son œuvre, la crise épochale que nous traversons.
La modernité rationaliste a exacerbé les dichotomisations du monothéisme occidental : le corps et l’esprit, la nature et la culture, le matériel et le spirituel, le bien et le mal, le faux et le vrai. Ces polarités dualistes, rationalisées par la pensée homogénéisante des Lumières, ont précipité la séparation irréductible de l’homme avec la nature et produit notre société matérialiste globalisée.
Maffesoli distingue un antagonisme fondamental entre ce qu’il nomme la puissance sociétale et le pouvoir social. La postmodernité serait l’actualisation de cette puissance native, force primordiale qui ressurgit, à travers la sensibilité écosophique du peuple, gardien de la tradition associative immémoriale. L’organicité postmoderne de la puissance communautaire s’oppose ainsi à l’individualité moderne du pouvoir[4].
Dans son dernier ouvrage, Le Temps des peurs, notre auteur analyse la stratégie de la peur élaborée par l’État mondialisée, tout au long de la période qu’il nomme la « psycho-pandémie » covidiste : « Le cœur battant de mon analyse, et ce depuis plusieurs décennies, est de rendre attentif à l’envahissement de la socialité par le “Léviathan”, figure de l’État tout puissant, de sa techno-bureaucratie se focalisant en ce moment sur une sorte de tyrannie médico-politique au moyen d’une stratégie de la peur. » (13)[5]
Maffesoli envisage les différents “simulacres” utilisés par la “société du spectacle” pour dramatiser l’apeurement humain archétypal et provoquer la soumission de la population. Il montre que cette stratégie de la peur a fabriqué des individus acédiastes, inhumains dans leur incapacité à vivre tout “être-ensemble”.
En cette époque “crépusculaire”, les élites de la modernité moribonde tentent d’imposer par la terreur leur vision économiciste de la vie. Mais, en réaction à la peur suscitée par la propagande hygiéniste, climatologique ou fanatiquement guerroyeuse des élites confites, nous assistons aujourd’hui, émergeant des profondeurs de l’âme populaire, à l’avènement d’une nouvelle élite, élitaire pour tous (et non élitiste), populaire (et non populiste), solidaire et réellement soucieuse du bien commun, souvent accusée de “complotisme” par une gôche lénino-troskyste, alliée occulte de ce “collectivisme oligarchique”, ainsi nommé par Orwell dans 1984, système hybride, en même temps capitaliste et socialiste, fondé sur la “théâtrocratie” politico-médiatique : en dénonçant le complotisme, tous ces petits histrions du pouvoir confortent le conformisme de la domination.
Avec les forces de l’ordre dit “républicain”, l’État se protège lui-même en faisant croire qu’il protège le peuple, en témoignent ses milices policières qui pratiquent tous azimuts amputation et éborgnage. Dans la soumission au mensonge, les CRS sont de la même (mauvaise) graine que les intellectuels ou les artistes et, du point du vue de la vérité : ils sont interchangeables. Tous sont si médiocres et pleutres qu’ « on se prend à rêver à Platon, ou plus près de nous à Pascal, bannissant les théâtreux de la cité. » (37)
L’intrusion insidieuse du wokisme dans l’imaginaire collectif est devenu un rouage essentiel de l’ingénierie sociale : la plupart de ses “actions” sont ridiculement anodines et cherchent la petite bête au nom du Gros animal « pour conforter la stratégie de la peur bien plus générale des pouvoirs qu’il fait semblant de contester. » (106) Le wokisme est une idéologie de la classe élitiste. Comme le remarque judicieusement Maffesoli : « on parle plus des victimes nanties et éduquées que de vendeuses et hôtesses de caisse de grandes surfaces, dont le refus d’accorder des faveurs aux petits chefs aboutit immédiatement à la perte de leur emploi. » (107).
Selon Maffesoli, « les rébellions qui sont appelées à se multiplier signifient en profondeur, et non dans le théâtre médiatique, qu’une catharsis éthique est en train de se réaliser […] Cela nécessite que l’on sache penser la métapolitique en cours comme unification de la mystique et de la rationalité, ce qui fut, il faut le rappeler, la démarche essentielle d’un Charles Péguy dont l’œuvre reste, de nos jours, une source inépuisable. » (143-144)[6]
En coupant les racines de l’être-ensemble, c’est la dimension rhizomique de la vie, l’horizontalité de la relation primordiale que s’attachent à nier, dans un dernier soubresaut diabolique, le rationalisme dogmatique des Lumières et son ultime avatar transhumaniste. Ainsi s’éteint la lumière de la modernité, alors que renaît la lumière de la puissance dont le peuple est l’éternel porteur.
Observant l’être social, sans jamais se départir de sa pensée objective de sociologue, Michel Maffesoli nous offre, avec Le temps des peurs, un ouvrage d’une érudition joyeuse dont le style se teinte de l’ironie cinglante des grands moralistes du 17e siècle. « Nos grands auteurs sont tous plus ou moins des moralistes », disait Valéry : ce livre en est le vivant témoignage.
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[1] Julien Benda, La trahison des clercs (1927).
[2] Mehdi Belhaj Kacem, Mausolée des intellectuels (2023).
[3] L’ère des soulèvements (2021), Logique de l’assentiment (2023) et Le temps des peurs (2023), tous publiés aux éditions du Cerf.
[4] Dès 1979, avec La Violence totalitaire, Michel Maffesoli a développé son analyse de l’antagonisme entre le pouvoir et la puissance.
[5] Les chiffres entre parenthèses renvoient à la pagination.
[6] Là encore, nous serions prêts à suivre l’auteur, à condition que cette “mystique” soit comprise comme une mystique sans Dieu, dans une perspective eckhartienne, et que Charles Péguy, libéré de toute hypnose religieuse, soit autant intégré dans la tradition libertaire que catholique.
2 commentaires
Bel article, belle recension du dernier livre de Michel Maffesoli. Le peuple rentre, est en plein dans la négativité acédiaste, l'anomie, la perte de sens, la grande interchangeabilité des objets et le renversement de ce à quoi il peut croire. Un triste bazar ! Debord avait vu venir le truc, je le lis, sur le tard, Maffesoli et Santacreu nous font faire des pas de géants.
Ah ! Ah ! C'est sûr : avec Maffesoli j'ai chaussé des bottes de sept lieues !
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