Le Soleil de Gaza
vendredi, 23 février 2024
Gott mit uns
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Ali Benziane
Que nous aurait dit le philosophe Yeshayahou Leibowitz devant le spectacle insoutenable qui se déroule sous nos yeux, devant ces images sordides qui défilent tous les jours sur nos écrans ? Les images des enfants tués par les bombardements massifs de Tsahal, les cris horribles d’enfants mutilés qu’on tente tant bien que mal de “soigner” dans des hôpitaux relégués à l’âge de pierre…
À l’ère de la grande parodie, les images inondent nos écrans et remplacent l’information, victime d’une omerta totale des médias occidentaux. Plus que jamais, Leibowitz aurait invectivé les “judéo-nazis”1 qui préparent un massacre à Rafah tout en menant le peuple juif à sa perte. Nul besoin d’un héros comme Julian Assange – qui est en train d’être littéralement poussé au suicide par les États-Unis – pour dévoiler à la face du monde les tortures physiques et psychiques infligées à tout un peuple. Tout est là, sous nos yeux, le premier génocide en direct de l’Histoire, pour reprendre l’expression de mon ami le philosophe Mehdi Belhaj Kacem.
Imaginons un seul instant que les téléphones portables et Internet aient existé à l’époque de la Deuxième Guerre mondiale… Imaginons qu’en 1942, un lanceur d’alerte allemand ait été assez courageux pour révéler de l'intérieur des images des camps de concentrations et du génocide des juifs, hommes, femmes et enfants, exécutés en direct dans les chambres à gaz : “L’opinion internationale” serait toute entière mobilisée et les Alliés arrêteraient sur le champ ce massacre. Mais dans le camp à ciel ouvert de Gaza, le génocide des Palestiniens suit impitoyablement son cours sans que l’ONU et le Tribunal Pénal International n’arrivent à arrêter les massacres d’enfants et de civils par dizaine de milliers. Dans ce tragique épisode de l'histoire humaine, le courage est assurément africain et la fibre héroïque vibre en Amérique latine : l’Afrique du Sud porte plainte contre l’état d’Israël au tribunal de La Haye, la Colombie, la Bolivie, le Chili, le Honduras et le Belize (petit État par la superficie mais grand par sa bravoure) ont rompu leurs relations diplomatiques avec Israël après le début des bombardements à Gaza. Le Brésil, par la voix de son président, n’hésite pas à employer les mots qu’il faut en évoquant un génocide. L’Histoire s’en souviendra.
Si les pays “non-alignés” montent au créneau, les Occidentaux continuent à soutenir de toutes les manières possibles le massacre en cours. Quelques remontrances timides face aux bombardements aveugles de l’entité sioniste que Leibowitz qualifiait “d’unique dictature qui existe dans le monde éclairé” dont les principes se muent en “valeurs” comme dans tous les totalitarismes. Pour Leibowitz, la seule et unique valeur sur laquelle se fonde l’État d'Israël est le suprématisme de l’État autoproclamé juif sur la Palestine. L’entité sioniste est un “État-golem” régi par des lois parodiques, un État anocratique dépourvu de principes qui s’est érigé en garde-fou de l’Occident moderne et de ses “valeurs”. Mais de quelles valeurs parle-t-on au juste ? De celles qui autorisent les guerres au nom des “droits de l’homme”, la torture dans les prisons et le meurtre impuni de civils et de journalistes au nom de la lutte contre le terrorisme. Après les enfants irakiens affamés par millions durant la guerre du Golfe, on découvre effaré les exactions de l’armée américaine pendant la seconde guerre d’Irak… Dans une vidéo publiée en 2010 sur Wikileaks et intitulée “Collateral Murder”, Julian Assange a rendu public le meurtre de deux journalistes à Bagdad, tués délibérément par les tirs d’un hélicoptère américain, blessant au passage deux jeunes enfants. Dans cette vidéo, on peut clairement entendre les conversations radio des militaires qui se congratulent après leur méfait. De même, Wikileaks a révélé que près de 700 civils ont été tués en Irak, dont des femmes enceintes, des enfants et des handicapés, uniquement parce qu’ils s’étaient approchés trop près des checkpoints américains. Sans oublier les décès non signalés de 15 000 civils irakiens et les sévices infligés à plus de 800 hommes (dont les plus jeunes ont seulement 14 ans) dans la prison de Guantanamo…
Près de deux décennies plus tard, aucune vidéo de Wikileaks n’a révélé ce qui auparavant se déroulait dans le secret des prisons de haute sécurité et dans les enceintes infernales des camps : les exécutions de journalistes, les enfants et les infirmiers tués de sang-froid, les privations des besoins élémentaires pour des millions de civils… Ce ne sont pas des “dégâts collatéraux” qui meurent tous les jours sous les bombes israéliennes (et américaines aussi, ne l’oublions pas…), il s’agit d’une volonté déterminée d’effacer toute trace d’un peuple de sa terre, le tout couvert par le mantra des dirigeants occidentaux : “Israël a le droit de se défendre ”. Traduction : “nous donnons carte blanche à l’entité sioniste pour mener sa guerre dans le mépris des droits humains fondamentaux.” Oui, il n’y a pas de doute… Avec la guerre à Gaza, Israël est bien à la pointe de l’Occident et de ses “valeurs”, il les a même rendues obsolètes. Et, comme son modèle américain en Irak, la défense sioniste se vante de frappes “chirurgicales” sur le peuple palestinien. On n’ose imaginer ce que cela aurait donné si les frappes n’étaient pas aussi millimétrées…
Dans un récent débat à la télévision américaine, le journaliste Piers Morgan pose la question qui fâche au très médiatique Rabbi Shmuley, rabbin d’obédience Loubavitch (secte messianiste à laquelle est affilié un certain Benjamin Netanyahu) : – Si Israël est si précis, comment expliquer qu’il tue autant d’enfants ? À court d’arguments (difficile de défendre l’indéfendable…), Shmuley perd ses moyens et s’enfonce dans des attaques ad hominem contre son interlocuteur, le politologue Norman Finkelstein, impassible. – “C’est la guerre”, scande quant à elle la criminelle de guerre Hillary Clinton, sommée de répondre à une question concernant le nombre élevé d’enfants tués à Gaza, lors d’une conférence interrompue à plusieurs reprises par des militants pro-palestiniens, dont un homme de confession juive auquel je rends un vibrant hommage.
Les représentants de l’Occident cautionnent l’extermination de tout un peuple et l’assument totalement. Pendant ce temps, les ministres du gouvernement Netanyahu peuvent déjà fêter la future colonisation de Gaza, lors d’une “conférence pour la victoire d’Israël” qui s’est tenue en janvier 2024 à Jérusalem en présence d’un rabbin terroriste, condamné dans les années 1980 à la prison à perpétuité pour ses crimes et considéré comme un héros par le premier ministre et ses affiliés. Tous réunis, les “judéo-nazis” de Leibowitz !... C’est ce qu’un ami qui m’est très cher appelle “la coalition des cinglés” en évoquant aussi l’alliance entre sionisme messianiste et protestantisme extrémiste. Pour les États-Unis, la deuxième guerre d’Irak a été une sorte de marqueur qui signe la fin de la culture protestante et l’apparition d’un État post-impérial, caractérisé par une violence incohérente et un désir d’expansion illimitée (avec l’actuel conflit russo-atlantiste comme fin de parcours probable). De même, avec la guerre à Gaza, on assiste à la fin de l’État-nation israélien qui donne naissance à un monstre que j’appelle l’État-Golem : un État post-judaïque fondé sur le nihilisme messianique et le suprématisme racial. Dans les camps de concentration, les soldats nazis arboraient sur leur ceinturon la devise Gott mit uns (Dieu est avec nous), une devise inspirée de “l’Emmanuel” de la prophétie d’Isaïe (celle-là même que Netanyahou souhaite accomplir). Les nihilistes messianiques pensent aussi que Dieu est avec eux, et ils le montrent fièrement dans leurs chants et leurs discours, persuadés d’œuvrer pour la venue du Machia’h et la rédemption d’Israël. Les rabbins bénissent les soldats de Tsahal qui accomplissent à coup de missiles leurs prophéties tandis que leurs alliés protestants (sionistes et antisémites carabinés) espèrent l’imminence de Gog et Magog pour la venue de leur Christ. “Cinglés” vous dites ? Le Gott des ceinturons nazis avait des relents aryens et un arrière-goût de solution finale… En traversant l’Allemagne, il y a quelques années, des grandes avenues où se noient les timides églises berlinoises aux paysages empreints de paganisme de la Forêt Noire, j’étais traversé par un sentiment lancinant, celui que ce grand et beau pays, berceau de la Réforme, était “mal christianisé.” L’apparition du Troisième Reich et de son christianisme parodique représente le creux de la vague de la crise identitaire allemande. De même, le génocide en cours à Gaza n’est pas seulement le chant du cygne de l’État d'Israël et son judaïsme parodique mais l’acte la fin de l’Occident et de ses pseudo-valeurs destructrices. D’où cette question que n’aurait pas renié ce grand esprit qu’était Leibowitz : que cache donc le Gott des “judéo-nazis” ?
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1. Yeshayahu Leibowitz avait utilisé le terme « judéo-nazi » à la fin des années 1980, en l’appliquant à l’ancien juge de la Cour suprême Meir Landau qui légalisa la torture. Il avait ainsi justifié cette expression : « L’État d’Israël représente ce qu’il y a de plus obscur comme appareil d’État, dans lequel une créature de forme humaine, qui était président de la Cour suprême, décide que le recours à la torture est autorisé dans l’intérêt de l’État. » (NDLR)
1 commentaire
Merci ... Touchant ...triste vérité de cette non humanité criante ...
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