lundi, 23 janvier 2006
La contrelittérature et le surréalisme
Nous reproduisons ci-dessous une recension de Michel Marmin, parue dans la revue éléments (numéro 119, Hiver 2005-2006) sous le titre « Littérature et contrelittérature ». À la fin de ce texte, on trouvera une brève réponse d’Alain Santacreu.
Voici quelques années que la revue Contrelittérature, fondée et animée par Alain Santacreu, mène un combat total, absolu, sans autre issue que la vie ou la mort, contre la modernité littéraire – ce qui est d’ailleurs, de son point de vue, un pléonasme, la « littérature » étant l’expression même de la modernité. En dépit de ses racines intrinséquement catholiques et de ses ramifications gnostiques, Contrelittérature est tout sauf une revue sectaire, et c’est bien ce qui en fait une aventure unique, ouverte à tous ceux que rebute la lecture au ras des pâquerettes. On peut en effet y lire des articles parfaitement hérétiques, au regard de ses fondements judéo-chrétiens, sous la plume de Luc-Olivier d’Algange, de Jean Parvulesco, de Francis Moury ou parfois, même, de la nôtre. Mais il manquait à cet étonnant chantier le manifeste qui en constituât l’étendard. C’est encore là une des originalités d’Alain Santacreu que d’avoir procédé à l’inverse de la démarche communément adoptée par les grands mouvements d’idées, qui posent les principes d’abord et les appliquent ( ou tentent de les appliquer ) ensuite. Alain Santacreu, lui, a expérimenté d’abord, puis a déduit les principes de l’expérimentation. C’est, si nous ne nous trompons, une méthode rigoureusement scientifique (et peut-être, soit dit sans malice, « moderne »).
Enfin, le manifeste est là, sous la forme d’un beau livre dont l’élégante nudité graphique et visuelle est déjà, en tant que telle, un signe de hauteur et d’ambition. Ce livre, intitulé La contrelittérature et précédé d’un « avant-dire » de Philippe Barthelet, s’ouvre par un incipit liber d’Alain Santacreu d’où découlent et par lequel s’éclairent toutes les autres contributions (dues aux principaux collaborateurs de la revue). Nous en retiendrons, pour mettre le lecteur en bouche, ce parallèle génial entre les mythes d’Œdipe et de Perceval : Œdipe, figure fondatrice de la littérature (donc de la modernité) répond à la question qui lui est posée ; Perceval, figure centrale de la contrelittérature, pose la question après la réponse qui lui est donnée. Cela donne fort à penser, et Alain Santacreu nous y aide. Parmi les contributions complémentaires, nous aurons plaisir à citer celle de Luc-Olivier d’Algange, qui élargit le champ de la contrelittérature vers des horizons platoniciens, donc « païens » (preuve supplémentaire de la largeur d’esprit d’Alain Santacreu), la méditation musicologique de Jacques Viret dont le titre, « Parole du verbe et chant humain : à la recherche d’une mélodie perdue », dit bien la substance, ou encore, par Alain Santacreu lui-même, une réflexion sur le théâtre qui démontre (une fois de plus) que l’avant-garde est le meilleur moyen de retrouver la tradition. Cela, un certain André Breton l’avait pressenti, et nous aimerions conclure en avançant que ce « manifeste pour l’esprit » est peut-être ce que la France, dans ce domaine, a produit de plus intelligent et de plus grisant depuis le premier Manifeste du surréalisme (qu’Alain Santacreu, nous ne comprendrons jamais pourquoi, n’aime pas).
Michel Marmin
Pourquoi je n’aime pas le surréalisme ? Je répondrai à Michel Marmin en citant deux questions d’André Breton :
En janvier 1952, dans le journal Le Libertaire, André Breton, évoquant la guerre d’Espagne, revenait sur la rencontre manquée du surréalisme avec l’anarchisme : « Pourquoi une fusion organique n’a-t-elle pas su s’opérer à ce moment entre éléments anarchistes proprement dits et éléments surréalistes ? J’en suis encore, vingt-cinq ans après à me le demander ». C’était la première question. S’y révèle la duplicité d’André Breton, lorsqu’on sait que la pseudo-révolte surréaliste procèda d’une trahison par Breton de la pensée anarchiste de Jacques Vaché qu’il connut en 1916.
La même année, interrogé à la radio par André Parinaud, Breton, en révélant la tentative du mouvement surréaliste naissant pour s’attacher la collaboration de Guénon, note la « déception » causée par son refus et s’interroge encore : « Il est curieux de conjecturer en quoi, l’évolution du surréalisme eût pu être différente, si par impossible, un tel concours ne s’était refusé… » C’était la seconde question.
Pourquoi Guénon a-t-il refusé de participer au mouvement surréaliste ? Parce que, pour avoir cédé aux idolâtries marxistes-léninistes et freudiennes, le surréalisme avait perdu son âme. L’erreur surréaliste correspond à ce que, dans mon texte sur le théâtre, j’ai appelé la « vaudouisation de l’âme ».
Je relève, en passant, l’allusion de Michel Marmin sur les soi-disant « ramifications gnostiques » de la contrelittérature. Soyons clairs : la contrelittérature refuse l’erreur « gnostique » qui prétend que la Connaissance est le Salut, mais elle reconnaît la vraie gnose qui permet de relire, à la lumière du Christ, la haute Tradition antérieure au christianisme. C’est pourquoi le christianisme « comprend » le paganisme, alors que l’inverse n’est pas.
Enfin, pour terminer cette réponse à Michel Marmin, je citerai un passage de la "Lettre à André Breton" d'Antoine de Saint-Exupéry (qui lui-même n'avait rien compris à la spécificité "chrétienne" de l'anarchisme espagnol) : « Il est dommage que vous ne vous soyez jamais trouvé face au problème de la mort consentie. Vous auriez constaté que l'homme a besoin alors, non de haine, mais de ferveur. On ne meurt pas "contre", on meurt "pour". Or vous avez usé votre vie à démanteler tout ce dont l'homme pouvait se réclamer pour accepter la mort. Non seulement vous avez lutté contre les armements, l'union et l'esprit de sacrifice, mais vous avez lutté encore contre la liberté de penser autrement que vous, la fraternité qui domine les opinions particulières, la morale usuelle, l'idée religieuse, l'idée de Patrie, l'idée de Famille, de maison, et plus généralement toute idée fondant un Être, quel qu'il soit, dont l'homme se puisse réclamer. » Antoine de Saint-Exupéry, "Lettre à André Breton", dans Écrits de guerre, 1939-1944, Gallimard, 1982, p. 130.
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