mercredi, 31 octobre 2018
Un négationnisme universitaire qui s'affiche !
Contra catharos !
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Alain Santacreu
Que dirait-on si une Université française s’avisait de présenter une exposition intitulée « La Shoah, une idée reçue », avec pour seul argument directeur : l’extermination des juifs n’a pas eu lieu puisque l’expression « extermination finale » n’apparaît dans aucun document officiel nazi ? Que dire alors de l’exposition « Les Cathares, une idée reçue », proposée par l’Université Paul-Valéry de Montpellier du 6 au 13 octobre 2018, négation explicite du génocide des cathares perpétré au XIIIe siècle par l’Église de Rome ?
Dans un entretien au journal L’Indépendant, la coordinatrice de cette exposition, Madame Alessia Trivellone, maître de conférence de cette vénérable Université, affirme qu’elle ne peut cautionner une histoire qui verrait des Cathares dans le Midi : « On conserve des milliers de procès-verbaux d’Inquisition, réalisés dans le Midi. Mais aucun ne nomme les Cathares. […] Ces sources présentent un problème : il s’agit de dépositions d’accusés privés des droits fondamentaux de défense, extorqués parfois sous la torture, par des accusateurs à la fois accusateurs et juges. Pouvons-nous croire à ces sources ? On a le devoir d’être sceptiques, d’autant plus que ces mystérieux "hérétiques" ne nous ont laissé aucune source de leur côté. »1
Ainsi donc, si l’on suit le raisonnement de Madame Trivellone, les déclarations des SS à Nuremberg seraient à récuser puisque, pour sauver leur tête, il n’auraient fait que répéter, comme, par exemple, Rudolf Hoess, l’ancien commandant d’Auschwitz, tout ce que leurs accusateurs leur soufflaient2. De même, en soulignant l’absence de sources hérétiques, Madame Trivellone reprend de facto la rhétorique faurissonienne consistant à nier l’existence des chambres à gaz en l’absence de tous vestiges réels (on sait que les chambres à gaz actuellement visibles ont dû être reconstituées). L’hypercritique négationniste tourne autour de ce sophisme : l'absence de preuves vaut preuve de l'absence des faits invoqués. Comme si l’histoire n'avait jamais prouvé que les exterminateurs effacent les traces de leurs crimes !
Quelle position adopter devant ces théories négationnistes qui avancent masquées, sous la couverture de l’Alma mater, s’affublant du titre de « déconstructivistes », exactement comme les négateurs des chambres à gaz osent se prétendre « révisionnistes » ? On rappellera Pierre Vidal-Naquet dans Les assasins de la mémoire : « À partir du moment où une théorie est lancée dans le public, il faut, aussi folle soit-elle, la prendre au sérieux, non pour établir un dialogue avec ses auteurs, mais pour expliquer au public qui la lit, quel en est l’enjeu. »3
Alessia Trivellone se revendique d’une lignée d’historiens inaugurée, en 1998, par Inventer l’hérésie ? ouvrage collectif dirigé par Monique Zerner4. Selon eux, l’hérésie n’aurait aucune existence réelle mais serait une construction du discours ecclésiastique, un mythe propre à conforter le pouvoir centralisateur de l’Église de Rome en justifiant la terreur antihérétique. Il s’agirait pour nos déconstructionnistes de procéder à une démythologisation, leur interprétation se réduisant à un nominalisme exacerbé : puisque le mot fait la chose, pas de mot, pas de chose et, par conséquent, il n’y a jamais eu de doctrine cathare et l’extermination des cathares est une invention romantique émise par quelques historiens du XIXe siècle.
L’historien Michel Roquebert, dans un article essentiel, a proposé une critique magistrale des postulats déconstructivistes5. Il relève de graves déficits documentaires en ce qui concerne le nom de l’Église cathare, sa hiérarchie et sa doctrine. On se reportera à ce travail qui démontre les omissions et les contradictions de cette théorie.
Les papes francs du XIe siècle, et surtout Grégoire VII, arrachèrent par lambeaux ce qui était propre à la tradition de la romanité antérieure. Un nouveau monachisme, tourné vers l’action politique et sociale, organisé en "ordres", se constitua qui, par la suite, devint un immense atelier de propragande franque.
Les Francs connaissaient la force religieuse du monachisme. Lorsqu’ils conquirent la Gallo-Romanie, au Ve siècle, le monachisme orthodoxe d’un Cassien avait alors atteint son apogée. Aussi cessèrent-ils de choisir les évêques parmi les moines, et transformèrent-ils les évêques en administrateurs responsables du peuple asservi. Le totalitarisme d’État se construisit dans le royaume de France à partir de la théologie politique franco-latine. Les Francs carolingiens chassèrent les évêques gallo-romains et s’instituèrent évêques et abbés, cooptèrent leurs concitoyens francs dans les charges les plus prestigieuses, devinrent des policiers oppresseurs du peuple qu’ils maintinrent dans une obéissance servile par l’institution d’une religion de la terreur et de la crainte. Le monachisme carolingien inquisitorial culminera dans l’ordre cistercien de Bernard de Clairvaux, un des principaux instigateurs du génocide des cathares albigeois. Comme l’a très bien vu Simone Weil, l’extermination de la civilisation occitanienne marque la disparition de la conscience grecque en Occident. L’Europe n’a plus jamais retrouvé au même degré d’intensité la liberté spirituelle perdue dans cette tragédie et c’est ce "manque" qu’elle paie encore aujourd'hui car l’Europe ne peut advenir à la conscience que par la surrection de ce refoulé séculaire : la France s'est construite sur un génocide.
La papauté n’est rien d’autre que la forme religieuse de la féodalité. Dans le Sud de la France, en Provence et en Languedoc se propagea un refus du modèle de la féodalité franque imposée par Rome. Parallèlement à l’hérésie cathare, on assiste à une renaissance du régime municipal magistralement étudiée par Augustin Thierry – un de ces historiens romantiques, à l’instar du grand Jules Michelet, que la doxa déconstructiviste voue aux gémonies et se complaît à ridiculiser car ils ont tenté de rectifier la vision unilatérale de l’histoire de France et osé rétablir la mémoire du génocide cathare.
La culture franco-latine a fondé la société européenne sur le principe des leudes et l'a soumise au régime de l'aristocratie. L'esprit belliciste des Francs a empoisonné la structure de la commune primitive des peuples gallo-romains et l'a scindée en conquérants et conquis, oppresseurs et opprimés. Il est très significatif que l'expression « Jacques Bonhomme » désigne l'ensemble des révoltés des grandes jacqueries. Or ce nom renvoie à l’appellation Bonshommes par laquelle le peuple désignait les cathares. La chronique du XIVe siècle de Jean de Venettes précise que ce sobriquet de « Jacques Bonhomme » fut attribué par les nobles aux paysans, pour les tourner en ridicule. L’hégémonie franco-latine a imposé cette structure féodale duelle qui s’est perpétuée au cours de l’histoire de la France : Jacques Bonhomme, c’est aujourd’hui la « France périphérique ».
Prétendre vouloir déconstruire un discours construit sur le mensonge est une mystification identique à toutes les falsifications de documents auxquelles l’Église de Rome s’est livrée pour aboutir à ses fins. La déconstruction du discours du maître est un leurre qui équivaut à l’assermentation du discours qu’elle prétend déconstruire. Il faut donc comprendre que la méthode déconstructiviste de Madame Alessia Trivellone est une arme entre les mains d'un pouvoir politico-religieux négateur de la vérité historique.
Il ne paraît guère possible de dialoguer avec de prétendus chercheurs dont les présupposés méthodologiques sont d'abord idéologiques et procèdent par l’hypercritique mais il s’agit de dénoncer ces stupidités au nom du devoir sacré de mémoire, surtout quand elles sont cautionnées par une institution universitaire qui se déshonore en les colportant – n’oublions pas le déshonneur qui rejaillit sur l’Université de Nantes, lorsqu’elle accrédita, en 1985, la thèse d’État négationniste d'Henri Roques.
On fera remarquer que la thèse de doctorat de Mme Trivellone6 fut éditée par Brepols, éditions belges très liées à l’Université catholique de Louvains. Le rôle éditorial de l’Église romaine n’est pas négligeable en milieu universitaire et fomente de zélés mandarins.
Dans son coruscant Cathares en chemin, José Dupré a dénoncé avec une certaine ironie ce courant universitaire crypto-catholique du Sud-Est de la France que l’exposition de l’Université de Montpellier vient avaliser aux yeux du public, nous le laisserons conclure : « Au-delà du besoin carriériste de trouver du nouveau à dire, d’essayer de sembler plus fort que les autres, le but véritable de cette tentative est de donner à croire que, s’il y eut débat un peu vif au sein de la chrétienté – mais quelle preuve de vitalité, n’est-ce pas ?… – il n’a jamais existé un véritable mouvement hérétique, constituant une contre-Église, qui rejetait peu à peu au néant l’Église de Rome. C’est cette humiliation que ce délire voudrait en effet conjurer, mais qui restera inscrite dans le bronze de l’Histoire. »7
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1. L’Indépendant du 5 octobre 2018.
2. Rudolf Hoess, Le commandant d'Auschwitz parle, La Découverte [Éd. mise à jour], 2005.
3. Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire, La Découverte, 2005.
4. Monique Zerner (dir.), Inventer l'hérésie ? Presses Universitaires de Nice, coll. « Centre d’études médievales de Nice », 1998.
5. Michel Roquebert, « Le déconstructionnisme et les études cathares » in Martin Aurell (dir.), Les cathares devant l’Histoire, Mélanges offerts à Jean Duvernoy, L’Hydre, 2005.
6. Alessia Trivellone, L’hérétique imaginé, Brepols, coll. « Centre d’études médiévales de Nice », 2010.
7. José Dupré, Cathares en chemin…, La Claverie, 2006.
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