dimanche, 12 février 2006
Ouvertures d'articles du numéro 17
Le dossier du numéro 17 est consacré à la notion de « talvera ». Ezra Pound et Dominique de Roux, deux grandes figures tutélaires de la contrelittérature, y sont particulièrement à l’honneur, ainsi que le poète Jean Boudou, le sociologue Yvon Bourdet et le compositeur Arvo Pärt. On lira ci-dessous les incipits des différents articles. Nous avons déjà reproduit ingralement l’avant-dire d’Alain Santacreu, « Talvera et Usura ».
DOSSIER : LA TALVERA
LA NOTION DE TALVERA
par Alem Surre-Garcia
En 1967 est publié un poème de Jean Boudou intitulé « La Talvera » qui donne le titre également au recueil. Le poème commence ainsi : « C'est sur la talvera que se trouve la liberté ». Ce vers est repris à la dernière strophe et Jean Boudou y ajoute : « De lisière en lisière elle porte la vérité ».
Un mot et deux vers assez énigmatiques (l'auteur restera lui-même silencieux à ce propos) qui ne cesseront de questionner et d'exciter l'imagination de la nouvellegénération.
Mans de Breish chantera les poèmes de Jean Boudou et bien évidemment celui sur la talvera.
Mans de Breish chantera les poèmes de Jean Boudou et bien évidemment celui sur la talvera.
Au mois de mars 1978 une communication sur la notion de talvera sera proposée au Séminaire de sociologie de la littérature occitane à Paris(École des Hautes Études). Le sociologue Yvon Bourdet assiste au séminaire.
Au mois de décembre 1978, Yvon Bourdet publie L'Espace de l'autogestion entièrement basé sur la notion philosophique de la talvera.
Un groupe d'animation (chant et danse) prendra bientôt le nom de La Talvera en région toulousaine.
La même année où se déroule le colloque de Naucelle consacré à Jean Boudou ( 27, 28 et 29 septembre 1985), apparaît à Béziers une collection poétique intitulée La Talvera.
La même année où se déroule le colloque de Naucelle consacré à Jean Boudou ( 27, 28 et 29 septembre 1985), apparaît à Béziers une collection poétique intitulée La Talvera.
Une définition technique
Voici la définition que donne l'écrivain et prix Nobel Frédéric Mistral du mot talvera ou tauvera : « lisière d'un champ, partie que la charrue ne peut atteindre, où il faut tourner les bœufs ». Mistral ajoute une étymologie étrange sous forme d'un jeu de mots : taur-virar, soit *taureau-tourner ! Il propose d'autres synonymes occitans « antarada, cance, capvirada, frontada, orièira, tornada, contorn et contornièra ».
Parole paysanne, technique, concrète dont Yvon Bourdet donne dans son ouvrage la traduction française suivante : « tournière ou chaintre ». Mots quasiment tombés dans l'oubli. Ce qui dénote un certain mépris envers le monde paysan dans la conscience française et indique surtout la négation de toute idée philosophiquement porteuse qui ne serait pas issue du microcosme intellectuel parisien ou parisianisé.
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Voici la définition que donne l'écrivain et prix Nobel Frédéric Mistral du mot talvera ou tauvera : « lisière d'un champ, partie que la charrue ne peut atteindre, où il faut tourner les bœufs ». Mistral ajoute une étymologie étrange sous forme d'un jeu de mots : taur-virar, soit *taureau-tourner ! Il propose d'autres synonymes occitans « antarada, cance, capvirada, frontada, orièira, tornada, contorn et contornièra ».
Parole paysanne, technique, concrète dont Yvon Bourdet donne dans son ouvrage la traduction française suivante : « tournière ou chaintre ». Mots quasiment tombés dans l'oubli. Ce qui dénote un certain mépris envers le monde paysan dans la conscience française et indique surtout la négation de toute idée philosophiquement porteuse qui ne serait pas issue du microcosme intellectuel parisien ou parisianisé.
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YVON BOURDET (1920-2005)
Par François Pic
Le sociologue Yvon Bourdet, récemment disparu, fut le premier à conceptualiser "la talvera" de Jean Boudou ; cette notice bio-bibliographique, établie par François Pic, voudrait lui rendre hommage.
Ni la Revue française de sociologie, ni les Cahiers internationaux de sociologie, ni L’Homme et la Société, aucune revue française n’a consacré à ce jour la moindre ligne au sociologue Yvon Bourdet, mort à Paris le 11 mars 2005 à l’âge de 85 ans.
Seul le quotidien Le Monde a publié, par la plume d’Olivier Corpet, un de ses disciples puis collègue – auteur en 1982 d’une thèse de 3ème cycle intitulée Matériaux pour une sociologie de l’autogestion, actuellement directeur de l’IMEC, Institut Mémoires de l’édition contemporaine – une courte notice dans son “ Carnet Disparitions ” du jeudi 17 mars 2005, page 12.
Ni la Revue française de sociologie, ni les Cahiers internationaux de sociologie, ni L’Homme et la Société, aucune revue française n’a consacré à ce jour la moindre ligne au sociologue Yvon Bourdet, mort à Paris le 11 mars 2005 à l’âge de 85 ans.
Seul le quotidien Le Monde a publié, par la plume d’Olivier Corpet, un de ses disciples puis collègue – auteur en 1982 d’une thèse de 3ème cycle intitulée Matériaux pour une sociologie de l’autogestion, actuellement directeur de l’IMEC, Institut Mémoires de l’édition contemporaine – une courte notice dans son “ Carnet Disparitions ” du jeudi 17 mars 2005, page 12.
Toutes autres archives, à commencer par celles du Comité pour l’histoire du CNRS, sont également muettes…
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JEAN BOUDOU : L’AMOUR ACTE MANQUÉ
Par Rémi Soulié
En 2001, Rémi Soulié avait publié chez Fil d’Ariane Éditeur, à Rodez, Les Chimères de Jean Boudou, écriture de la perversion, lecture psychanalytique de l’oeuvre où Jean Genet et James Joyce, compagnons à sa mesure, escortaient le poète rouergat. Sans avoir, loin s’en faut, la religion de la psychanalyse, il pensait alors et il pense toujours qu’elle constitue l’une des herméneutiques les plus essentielles pour l’intelligence de cette œuvre infiniment subtile et, peut-être, la mieux à même de démontrer son universalité. Hanté par une interrogation sur l’identité qu’il décline, non sans humour ou ironie, sur les modes historique, géographique, linguistique, érotique, Boudou met en scène les angoisses éternelles.
À notre connaissance, le poème “ La Tuba”, traduit et commenté par Rémi Soulié, n’a été publié qu’une seule fois, dans Figures du Rouergue (Grelh Roergàs, 1979) de Henri Mouly.
Ce poème est emblématique de l’œuvre de Jean Boudou qui, sur le plan amoureux, décline mille et une conjugaisons de l’échec. Boudou, à son corps défendant, expérimente l’absence de rapport entre les sexes sans pouvoir faire semblant. Ici, le duo de promeneur ne forme pas un couple et si « sarrar » désigne le rapprochement, ce ne sont ni les corps ni les âmes qui s’étreignent : non seulement la femme n’est pas l’avenir de l’homme, mais la solitude de chacun est sans remède.
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LES MYSTÈRES DE LA TALVERA
par Daniel Facérias
L’enracinement
À notre connaissance, le poème “ La Tuba”, traduit et commenté par Rémi Soulié, n’a été publié qu’une seule fois, dans Figures du Rouergue (Grelh Roergàs, 1979) de Henri Mouly.
Ce poème est emblématique de l’œuvre de Jean Boudou qui, sur le plan amoureux, décline mille et une conjugaisons de l’échec. Boudou, à son corps défendant, expérimente l’absence de rapport entre les sexes sans pouvoir faire semblant. Ici, le duo de promeneur ne forme pas un couple et si « sarrar » désigne le rapprochement, ce ne sont ni les corps ni les âmes qui s’étreignent : non seulement la femme n’est pas l’avenir de l’homme, mais la solitude de chacun est sans remède.
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LES MYSTÈRES DE LA TALVERA
par Daniel Facérias
L’enracinement
Le terme Talvera est mystérieux au sens premier du mot grec mustês : initié. Le poète occitan Joan Bodon en a saisi l’eidos par intuition poétique sans certainement avoir conscience qu’il manifestait quelque chose d’un autre ordre, un enracinement au-delà de sa propre mémoire, une sorte d’éclat d’étoile… En effet, si l’on se penche sur le mot lui-même, il semblerait provenir d’une expression locale audoise, assez circonscrite dans l’espace de la langue d’oc des Corbières qui de prime abord pourrait signifier stricto sensu : le lieu du champ d’où l’on peut voir « tal-vera », le lieu du retournement de l’attelage (dont l’action se dit en langue d’oc ancienne « atornalhar »). À première vue, il n’y a pas véritablement de trace de ce mot dans la poésie traditionnelle des troubadours, si ce n’est le nom d’un lieu arabo-andalou qui pourrait, par ressemblance, éclairer l’eidos de Joan Bodon. Il s’agit du terme « Talabira » qui est mentionné pour la première fois au moment de la conquête de la Péninsule Ibérique par les expéditions arabes et berbères venus du Maghreb et de l’Orient. Ce nom a qualifié un point géographique particulier qui après la reconquista d’Isabelle la catholique a donné la ville de Talavera de la Reina. Talabira était un poste avancé au nord de l’Andalousie, une alcazaba, c’est à dire une forteresse. Pendant la période almoravide, Talabira s’est développé et renforcé au point d’être un centre incontournable et crucial en amont de Cordoba et de Granada. En effet, Tal-a-b(v)ira est le lieu d’où l’on peut voir, le lieu du retranchement, le lieu de la pause entre inspir et expir. La racine sémite « Tll » se retrouve dans Tel Sheva ou Tel Aviv. En hébreu le « Tel » signifie le point fortifié, le point légèrement élevé, le point de mire, comme le « Tal » arabe. Par glissement cette racine est entrée dans la langue française pour donner le mot talus.
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GÉOPOLITIQUE DE LA TALVERA
Par Christian Rangdreul
« Le bonheur est derrière la charrue. » ( Hölderlin)
Derrière ce que l’on pourrait appeler une géopolitique de l’extérieur, il est une géopolitique de l’intérieur, fort opportunément dénommée « géopolitique transcendantale » par Dominique de Roux dans son De Gaulle. Une géopolitique subtile, relevant de cet imaginal mis en lumière par Henry Corbin dans le sillage du grand théosophe iranien Sohravardi (1155-1191).
La géopolitique transcendantale fait intervenir une faculté intuitive médiane – entre le monde métaphysique et le monde physique – et médiatrice, un tiers monde épistémologique ignoré, par parti pris « rationnel », voire rationaliste, de la grande majorité des géopolitologues ; un sens subtil qui investit la géopolitique d’une qualité anagogique lui permettant de transmuter le ternaire politique-espace-géographie en une triade mettant en rapport la métapolitique (politique informée par la métaphysique), l’espace à six directions (où, aux quatre directions planes Orient-Occident/ Septentrion-Midi, sont ajoutées les deux directions axiales Zénith-Nadir, soit l’élévation et la profondeur), et la géographie sacrée (géographie des hiérophanies). Vue ainsi, la géopolitique se montre alors telle qu’elle est vraiment, à savoir une branche particulière, opérative, de la « science des choses dernières » : l’eschatologie.
Depuis l’Incarnation, l’histoire va s’enroulant sur elle-même pour atteindre son oméga transfigurant : la seconde venue, en gloire, du Christ ; et, dans ce mouvement spiroïdal inauguré par le « Verbe fait chair », les États-nations, tout comme les individus, ne sont rien autre que des « êtres moraux », inévitablement écartelés entre « la pesanteur et la grâce » (Simone Weil). C’est donc tout naturellement que la géopolitique transcendantale participe, à sa manière et avec ses moyens propres, de ce qui constitue, à travers les conflits terrestres, le combat invisible opposant jusqu’à la parousie la Vérité salvatrice du Verbe aux mensonges du nihilisme et du relativisme modernes. C’est dans cette perspective que s’insère la « Géopolitique de la Talvera ».
La géopolitique transcendantale fait intervenir une faculté intuitive médiane – entre le monde métaphysique et le monde physique – et médiatrice, un tiers monde épistémologique ignoré, par parti pris « rationnel », voire rationaliste, de la grande majorité des géopolitologues ; un sens subtil qui investit la géopolitique d’une qualité anagogique lui permettant de transmuter le ternaire politique-espace-géographie en une triade mettant en rapport la métapolitique (politique informée par la métaphysique), l’espace à six directions (où, aux quatre directions planes Orient-Occident/ Septentrion-Midi, sont ajoutées les deux directions axiales Zénith-Nadir, soit l’élévation et la profondeur), et la géographie sacrée (géographie des hiérophanies). Vue ainsi, la géopolitique se montre alors telle qu’elle est vraiment, à savoir une branche particulière, opérative, de la « science des choses dernières » : l’eschatologie.
Depuis l’Incarnation, l’histoire va s’enroulant sur elle-même pour atteindre son oméga transfigurant : la seconde venue, en gloire, du Christ ; et, dans ce mouvement spiroïdal inauguré par le « Verbe fait chair », les États-nations, tout comme les individus, ne sont rien autre que des « êtres moraux », inévitablement écartelés entre « la pesanteur et la grâce » (Simone Weil). C’est donc tout naturellement que la géopolitique transcendantale participe, à sa manière et avec ses moyens propres, de ce qui constitue, à travers les conflits terrestres, le combat invisible opposant jusqu’à la parousie la Vérité salvatrice du Verbe aux mensonges du nihilisme et du relativisme modernes. C’est dans cette perspective que s’insère la « Géopolitique de la Talvera ».
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SILLONS
EZRA POUND
L'HOMME FOUDROYÉ PAR LE SOLEIL
par Jean-Marc Tisserant
“ O Lynx, protège ce verger ”.
Ezra POUND, Canto LXXIX
Éclate en mainte occurrence des Cantos une folie langagière, un sens dionysiaque ivre de lui-même. Le poème poundien devient cet espace hors-limites où la puissance panique de la nature et le tréfonds de l'homme s'abouchent dans la rage de l'expression. Dès lors que le divin s'incarne dans l'humain, avec toutes les conséquences que le médium doit endurer (« Je ne suis personne, mon nom est personne », Cantos pisans, LXXVIV), il lui faut souffrir ce dieu sans nom et sans visage. Un chant s'élève dans la lumière des cimes ; il mêle, tel un feu grégeois, le soufre et la poix. Pound accède à l'état neuf, apollinien, du Dieu noir. Il peut proclamer qu'il est « un homme sur qui le soleil est descendu » (Cantos pisans, LXXIV).
La foudre est la punition du dieu de l'air. L'extase apollinienne se joue des limites, à la différence de l'exubérance dionysiaque qui s'enivre de les repousser. De fait, Ezra Pound se cache derrière deux masques : le masque solaire d'Apollon et le masque champêtre de Dionysos. Tel le Prométhée d'Eschyle, sa nature est à la fois dionysiaque et apollinienne. Les choses d'en-haut et les choses de la terre s'anoblissent et se cristallisent dans des alêthéïa, s'infusent au plus profond de la sensibilité de l'esprit. Le fond dionysiaque de l'univers doit être soumis à la puissance de transfiguration apollinienne. De même la poésie doit éviter le glissement dans l'abstraction, se faire langage visuel concret.
Il se plaît à évoquer l'ire des divinités grecques plutôt que l'omnipotence d'un dieu solipsiste, enfermé dans son ipséité, fût-elle céleste. Ce parti-pris se traduit par un anticléricalisme exacerbé, une suspicion à l'égard du monothéisme dont il fustige l'emprise sur la société des hommes. Son attachement à la poésie des troubadours, qui célèbre la Dame et cultive l'amour de la Beauté, n'est pas d'essence chrétienne : il se rattache davantage aux hérétiques albigeois dont le le gnosticisme farouche les rapproche des manichéens.
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La foudre est la punition du dieu de l'air. L'extase apollinienne se joue des limites, à la différence de l'exubérance dionysiaque qui s'enivre de les repousser. De fait, Ezra Pound se cache derrière deux masques : le masque solaire d'Apollon et le masque champêtre de Dionysos. Tel le Prométhée d'Eschyle, sa nature est à la fois dionysiaque et apollinienne. Les choses d'en-haut et les choses de la terre s'anoblissent et se cristallisent dans des alêthéïa, s'infusent au plus profond de la sensibilité de l'esprit. Le fond dionysiaque de l'univers doit être soumis à la puissance de transfiguration apollinienne. De même la poésie doit éviter le glissement dans l'abstraction, se faire langage visuel concret.
Il se plaît à évoquer l'ire des divinités grecques plutôt que l'omnipotence d'un dieu solipsiste, enfermé dans son ipséité, fût-elle céleste. Ce parti-pris se traduit par un anticléricalisme exacerbé, une suspicion à l'égard du monothéisme dont il fustige l'emprise sur la société des hommes. Son attachement à la poésie des troubadours, qui célèbre la Dame et cultive l'amour de la Beauté, n'est pas d'essence chrétienne : il se rattache davantage aux hérétiques albigeois dont le le gnosticisme farouche les rapproche des manichéens.
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DOMINIQUE DE ROUX
L'ÉCRITURE DE DOMINIQUE DE ROUX
Par Luc-Olivier d’Algange
Par Luc-Olivier d’Algange
Longtemps Dominique de Roux fut notre aîné ; et voici, depuis quelques années, qu'il est notre cadet, qu'il nous devance déjà et encore de sa juvénilité, nous rappelle aux audaces essentielles, nous invite à découvrir et à défendre d'autres oeuvres que la nôtre et nous délivre, par cela même, de la mécanique odieuse de la subjectivité, de cet enfermement dans le « moi », autrement dit, de la « psychologie des larves » dont parlait Novalis, pour solliciter en nous ce songe de grandeur, cette nostalgie impériale qui veut le monde plus grand que ce que nous en pouvons penser.
Nous gardons le souvenir des découvertes, des « missions de reconnaissance », où il nous précéda, de son ultime revue Exil, où nous retrouvions tout ce qui, ces dernières années, nous avait requis, d'une requête tout autant métaphysique que littéraire. Fernando Pessoa et André Coyné, Stefan George et Eryck de Rubercy, et Raymond Abellio, et Knut Hamsun et Paul Morand. Et encore Jean Parvulesco, Patrice Covo ou Matthieu Messagier. Les poètes et leurs intercesseurs, les aventuriers du Logos, les « calenders », selon le mot de Gobineau, les Exilés, car depuis que le monde se montre tel que nous le connaissons, les Fils de Roi sont toujours en exil. Qu’en est-il de l'exil, non point dans l'ailleurs mais dans l' ici-même ? Qu'en est-il de l'exil ontologique, et non point circonstanciel ou historique ?
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Nous gardons le souvenir des découvertes, des « missions de reconnaissance », où il nous précéda, de son ultime revue Exil, où nous retrouvions tout ce qui, ces dernières années, nous avait requis, d'une requête tout autant métaphysique que littéraire. Fernando Pessoa et André Coyné, Stefan George et Eryck de Rubercy, et Raymond Abellio, et Knut Hamsun et Paul Morand. Et encore Jean Parvulesco, Patrice Covo ou Matthieu Messagier. Les poètes et leurs intercesseurs, les aventuriers du Logos, les « calenders », selon le mot de Gobineau, les Exilés, car depuis que le monde se montre tel que nous le connaissons, les Fils de Roi sont toujours en exil. Qu’en est-il de l'exil, non point dans l'ailleurs mais dans l' ici-même ? Qu'en est-il de l'exil ontologique, et non point circonstanciel ou historique ?
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EN ATTENDANT DE RETROUVER LE STYLE DES CONTES
par Philippe Barthelet
Le De Gaulle de Dominique de Roux avait de quoi déconcerter les gaullistes de la commune observance. Ils n’avaient rien vu de tel depuis Malraux, mais, selon le mot prêté à de Gaulle lui-même, « Malraux c’est Malraux » et de Roux ne bénéficiait pas du même sauf-conduit tautologique. Pourtant Morand avait vu juste, quand dans son Journal inutile il qualifie Dominique de Roux « farfelu » : cet adjectif rabelaisien, oublié, c’est Malraux qui l’avait retrouvé avec son Royaume farfelu et il s’ en faisait une signature, manière de gagner du temps avec les imbéciles : « j’aime les musées farfelus, qui jouent avec l’éternité » , écrit-il par exemple dans les Antimémoires. La provocation a le mérite d’empêcher le caquetage, elle interdit les imbéciles.
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Peu de vies d’écrivains ont été aussi fidèles à l’esprit de l’œuvre qui les a suscitées que celle de Dominique de Roux ; et l'on pourrait se demander, en lisant l’ouvrage récent de Jean-Luc Barré, si ce ne fut pas davantage son œuvre qui suscita sa vie.
À cette première biographie de Dominique de Roux répond, comme en écho, une phrase très holderlingienne de La Jeune Fille au ballon rouge : « Or, le biographe s’en est allé et qui marquera le commencement de l’histoire, une fois pour toutes ». C’est que le livre de Jean-Luc Barré possède une qualité rare : il contient l’aimant qui attirait Ezra Pound dans les vidas des troubadours, c’est-à-dire l’ellipse qui nous mène jusqu’à la clé qui ouvre l’œuvre : la vida de Dominique de Roux est une dame.
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À cette première biographie de Dominique de Roux répond, comme en écho, une phrase très holderlingienne de La Jeune Fille au ballon rouge : « Or, le biographe s’en est allé et qui marquera le commencement de l’histoire, une fois pour toutes ». C’est que le livre de Jean-Luc Barré possède une qualité rare : il contient l’aimant qui attirait Ezra Pound dans les vidas des troubadours, c’est-à-dire l’ellipse qui nous mène jusqu’à la clé qui ouvre l’œuvre : la vida de Dominique de Roux est une dame.
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LA TACHE BLEUE DU PACIFIQUE
Par Philippe Barthelet
Le 22 juillet 1973 Dominique datait de Genève son Gravier des vies perdues, « enfin lavé par les pluies d’avril » . J’avais seize ans, j’étais à Innsbruck de l’autre côté des lacs, et je cherchais des sentiers dans le Tyrol pour touristes – les edelweiss désormais cachées dans les livres. Le Pr Dr Pilshofer, de Salzbourg, nous enseignait avec désespoir les rudiments de la grammaire allemande ; téléphérique, tombe de Maximilien gardée par les ancêtres, le bronze déménagé dans la forêt quand les nazis voulaient des canons, résistance ! Kaisertreuen, fidèles à l’Empereur, d’ailleurs le portrait de François-Joseph surveille toujours les guichets de la poste principale.
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ARVO PÄRT
LA MUSIQUE AU SEUIL DU PARADIS
par David Gattegno
« Jouer une seule note avec beauté est suffisant. Si l’on y parvient, il n’y a plus rien à ajouter. C’est le mystère de la musique. » (Arvo Pärt)
En opposition aux idéologies modernes qui s’obstinent à tâcher de faire ressortir les correspondences entre humanoides et primates en toutes choses, les Anciens célébraient une idée transmise au monde social par ceux que nous appelons les « poètes » ; Hésiode, par exemple, assurait que les dieux et les hommes avaient une même origine, tandis qu’Orphée disait appartenir à une race de souche céleste. Plus près de nous, au XIVe siècle, maître Eckhart, insistait sur le fait que l’homme est de la race et de la parenté de Dieu.
L’homme doit recouvrer l’esprit libérateur de la liturgie, le « service » de la vie éternelle, dont le catéchisme athéologique moderne l’a spolié. Pour ce faire, il y a nécessité pour lui de trouver à se désincarcérer des véhicules dans lesquels l’éducation laïque et obligatoire l’a claquemuré.
Voilà ce qu’entreprit de faire, exemplairement, le grand compositeur estonien sous les auspices duquel nous avons voulu nous placer ici.
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L’homme doit recouvrer l’esprit libérateur de la liturgie, le « service » de la vie éternelle, dont le catéchisme athéologique moderne l’a spolié. Pour ce faire, il y a nécessité pour lui de trouver à se désincarcérer des véhicules dans lesquels l’éducation laïque et obligatoire l’a claquemuré.
Voilà ce qu’entreprit de faire, exemplairement, le grand compositeur estonien sous les auspices duquel nous avons voulu nous placer ici.
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