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"L'Impasse du salut" de Maximilien Friche

 

Une prière dissimulée

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  Le héros de L’impasse du salut1 s’appelle « Renaud Manne ». Il vient d’atteindre la soixantaine, c’est-à-dire l’âge de la retraite. De nos jours où la banalité se dit en anglais, tout homme plongé dans l'anglophonie mondialisée pourrait s’appeler Renaud Manne. 

  De la cellule où il se trouve, Renaud Manne prend conscience qu’il a toujours vécu dans une prison : « Dehors aussi il y a quatre murs » (153). L’enjeu du roman est ainsi donné d'emblée : Renaud Manne parviendra-t-il à se libérer de ce « foutu psychisme » (12) qui a fait de lui un meurtrier ? « Il y a sans doute un chemin, même pour Renaud Manne » (87) et le lecteur devra le suivre sur ce chemin qui se révèlera être une impasse.

 Renaud Manne a toujours évolué dans un monde spongieux : « son psychisme imite le lac » (16) Sa prison, c’est en réalité la société liquide de Zygmunt Bauman où les individus ne s’intégrent que par leurs actes de consommation.  

 À travers leur consommation hystérisée, les hommes postmodernes consomment leur propre image. Renaud Manne, lui, ne peut plus se consommer, il ne se supporte plus, il se déteste et, fatalement, ce dégoût de lui-même précipite sa mise en retrait ; si bien qu’il va inverser le mouvement du processus d’aliénation sociale : au lieu de se consommer, il va se vomir. Telle sera la destinée de Renaud Manne magistralement contée par Maximilien Friche dans cet extraordinaire roman qu’est L’Impasse du salut.

 La vie aquatique de Renaud Manne s’était réalisée dans son « boulot », parmi ces « bureaux » où se confinait narcissiquement sa pensée managériale. Renaud Manne se noie dans cette phrase que prononce « Benoît », son supérieur hiérarchique : « Nous avons pensé que vous pourriez prendre votre retraite. » En effet, dans ce monde spectaculaire, se retrouvent exclus, non pas ceux qui ne jouent pas le jeu mais ceux qui ne peuvent plus le pratiquer. Renaud Manne a été mis hors-jeu. Se laisser noyer devient sa seule perspective mais cet unique chemin est une autre impasse : « La perspective de la noyade ne m’enlève pas ce sentiment de ne pas être concerné tout en restant prisonnier. » (136)

  Le meurtre sera pour Renaud Manne la possibilité de s’extraire de l’élément liquide, de se solidifier par le feu de la grâce, selon l’opération alchimique du solve et coagula : « Lancé comme un solide dans un liquide, Manne a fauché un jeune homme de dix-sept ans. » (161)

  Maximilien Friche, dans la lignée des grands moralistes classiques, possède l’art de montrer la misère constitutive de l’homme. Il a ce don singulier de l’observation psychologique et du saisissement du trait caractéristique.

  Renaud Manne est un Misanthrope postmoderne. L’Alceste de Molière était un homme jeune, séducteur d’une jeune veuve volage. D'autre part, ce n’était pas lui-même qu’il haïssait mais tout le genre humain dans lequel il ne se comprenait pas. Le mal, Alceste ne le trouve pas en lui mais chez les autres, en cela il n’est pas  catholique, ignorant  la culpabilisation et le péché. Alceste annonce une forme de romantisme radical, un nihilisme mélancolique. Au contraire, Renaud Manne est vieux, sans nostalgie idéaliste : « S’il vomit la race humaine donc, c’est avant tout parce qu’il se vomit lui-même, et que la race lui ressemble. » (193) Il y a un orgueil aristocrate chez Alceste dont Renaud Manne est démuni, sa nausée n’étant que le râle de la classe moyenne. Toute classe sociale engendre sa propre misanthropie : Alceste l’aristocrate, alors que l’Ancien régime s’effondre ; Renaud Manne le petit bourgeois, tandis que se meurt une civilisation. D’Alceste à Renaud Manne s’étend la modernité.

  Il y a dans ce roman l’émergence d’une prière. De qui cette prière est-elle le nom ? Ce n’est pas la prière psychopathe de Renaud Manne mais la prière dissimulée de l’auteur ; prière qui émerge, dans le dernier chapitre, avec l’apparition du pronom personnel « tu ». Pour le lecteur qui entend cette prière de Maximilien Friche, L’Impasse du salut  est un grand roman chrétien. 

Alain Santacreu

 

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1. Maximilien Friche, L’Impasse du salut, Éditions Sans escale, 2018, 248 p. Les chiffres entre parenthèses renvoient à la pagination de cette édition.