Un roman d'Eugenio Corti (samedi, 22 novembre 2008)
Cet important roman d’Eugenio Corti se présente sous la forme d’un scénario de film. Ce choix narratif impose une focalisation externe qui donne à l’ensemble une valeur de documentaire plus que de roman historique ; et sans doute était-ce là le but visé par l’auteur. Le lu est vu instantanément par le lecteur qui « réalise » ainsi le roman par sa propre lecture. Le temps présent, propre au style scénariste, actualise le récit romanesque. Cette composition originale ouvre l’œuvre à une multitude de connaissances culturelles, ethnologiques et sociologiques sur le peuple guarani. Le thème de cette œuvre s’attache en effet à retracer, à partir d’une démultiplication de séquences, et sur trois générations, la vie d’une « réduction » jésuite d’Amérique latine pendant la période charnière, de 1740 à 1788, qui précipita la fin de cette grandiose aventure humaine. On y découvre des descriptions variées et vivantes du mode de vie intauré par l’inculturation chrétienne, le goût des Guaranis pour la musique, la peinture, l’artisanat et les arts en général.
Les indiens Guaranis formaient le peuple le plus important du continent sud-américain au temps de sa découverte par les conquistadors. Leurs territoires occupaient le sud de la côte brésilienne et s’étendaient vers l’intérieur jusqu’aux fleuves Paraguay et Paraná. Ces tribus de la forêt tropicale étaient des peuplades guerrières qui pratiquaient un chamanisme ritualisé. Leur économie collectiviste reposait sur la culture du manioc et du maïs, la collecte, la pêche et la chasse. Cependant, lorsque les Espagnols arrivèrent un très grand nombre de tribus étaient déjà sédentarisées.
Les Guaranis furent en partie rassemblés, aux XVIIe et XVIIIe siècles, par les jésuites dans des « réductions », villages communautaires où ils prospérèrent durant près de cent cinquante ans, de 1609 à 1768. Les prêtres jésuites respectèrent la structure de la cité indigène : les premières reducciones furent construites selon le modèle des tavas, constituées de plusieurs maisons communes édifiées autour d’un place rectangulaire.
Les indiens Guaranis formaient le peuple le plus important du continent sud-américain au temps de sa découverte par les conquistadors. Leurs territoires occupaient le sud de la côte brésilienne et s’étendaient vers l’intérieur jusqu’aux fleuves Paraguay et Paraná. Ces tribus de la forêt tropicale étaient des peuplades guerrières qui pratiquaient un chamanisme ritualisé. Leur économie collectiviste reposait sur la culture du manioc et du maïs, la collecte, la pêche et la chasse. Cependant, lorsque les Espagnols arrivèrent un très grand nombre de tribus étaient déjà sédentarisées.
Les Guaranis furent en partie rassemblés, aux XVIIe et XVIIIe siècles, par les jésuites dans des « réductions », villages communautaires où ils prospérèrent durant près de cent cinquante ans, de 1609 à 1768. Les prêtres jésuites respectèrent la structure de la cité indigène : les premières reducciones furent construites selon le modèle des tavas, constituées de plusieurs maisons communes édifiées autour d’un place rectangulaire.
Ce que l’on a pu appeler la « république jésuite » fut un succès, non pas en dépit de ce qu’étaient les Guaranis, mais plutôt grâce à ce qu’ils étaient. L’organisation des missions se fondait sur les principes du christianisme primitif, selon les théories du théologien jésuite Francisco Suarez. Pour réussir, les missionnaires surent mettre à profit la réalité sociale et politico-religieuse de ce peuple. Après l’expulsion de leurs protecteurs, les Guaranis furent victimes de massacres et durent se disperser, la plupart retournèrent dans la forêt.
Le roman d’Eugenio Corti s’arrête symboliquement en 1788, vingt ans après l’expulsion des jésuites par la coalition des puissances étatiques colonialistes européennes et juste à la veille de la révolution française. Le Portugal notamment, où l’influence anglaise était prépondérante, et plus particulièrement le sinistre marquis de Pombal, formé à Londres, prit l’initiative de la persécution inique des jésuites au nom de l’ idéologie des « Lumières ». L’Espagne, avec son premier ministre, le comte d’Aranda, voltairien proclamé, ne resta pas en reste ; et il en fut de même en France avec le diabolique duc de Choiseul et la coalltion des jansénistes et libertins, réconciliés pour la cause. Ainsi, par la destruction des jésuites, le sens de l’Histoire ne serait plus entravé : on avait une révolution à faire. Le destin de la mystérieuse Compagnie, née avec le monde moderne en 1534, touche au plus profond mystère de la modernité.
Le lecteur-réalisateur de La terre des Guaranis connaît la suite de l’histoire : il sait, par exemple, qu’aujourd’hui, dans ce même lieu géographique, les derniers descendants des Guaranis survivent comme des esclaves dans des estancias. L’alcool et le racisme rendent leur conditions dramatiques. De nos jours, beaucoup de jésuites sont devenus partisans de la théologie de la libération qui revendique le même lieu théologique que celui des anciens pères missionnaires. Chez les uns et les autres, le discours sur Dieu se fonde sur la situation des opprimés : le Dieu d’amour ne peut coexister avec l’injustice et l’exploitation de l’homme par l’homme. Cependant, si pour les pères missionnaires la religion chrétienne a été donnée aux hommes par le sacrifice de la Croix et pour les rendre participants à la Vie de Dieu, la théologie de la libération leur propose de construire une religion qui les rend surtout, et non « par surcroît », participants à la vie terrestre. Seule la présence de Dieu donne à la société un visage humain, c’est ce que nous rappelle magistralement La terre des Guaranis.
Le roman d’Eugenio Corti s’arrête symboliquement en 1788, vingt ans après l’expulsion des jésuites par la coalition des puissances étatiques colonialistes européennes et juste à la veille de la révolution française. Le Portugal notamment, où l’influence anglaise était prépondérante, et plus particulièrement le sinistre marquis de Pombal, formé à Londres, prit l’initiative de la persécution inique des jésuites au nom de l’ idéologie des « Lumières ». L’Espagne, avec son premier ministre, le comte d’Aranda, voltairien proclamé, ne resta pas en reste ; et il en fut de même en France avec le diabolique duc de Choiseul et la coalltion des jansénistes et libertins, réconciliés pour la cause. Ainsi, par la destruction des jésuites, le sens de l’Histoire ne serait plus entravé : on avait une révolution à faire. Le destin de la mystérieuse Compagnie, née avec le monde moderne en 1534, touche au plus profond mystère de la modernité.
Le lecteur-réalisateur de La terre des Guaranis connaît la suite de l’histoire : il sait, par exemple, qu’aujourd’hui, dans ce même lieu géographique, les derniers descendants des Guaranis survivent comme des esclaves dans des estancias. L’alcool et le racisme rendent leur conditions dramatiques. De nos jours, beaucoup de jésuites sont devenus partisans de la théologie de la libération qui revendique le même lieu théologique que celui des anciens pères missionnaires. Chez les uns et les autres, le discours sur Dieu se fonde sur la situation des opprimés : le Dieu d’amour ne peut coexister avec l’injustice et l’exploitation de l’homme par l’homme. Cependant, si pour les pères missionnaires la religion chrétienne a été donnée aux hommes par le sacrifice de la Croix et pour les rendre participants à la Vie de Dieu, la théologie de la libération leur propose de construire une religion qui les rend surtout, et non « par surcroît », participants à la vie terrestre. Seule la présence de Dieu donne à la société un visage humain, c’est ce que nous rappelle magistralement La terre des Guaranis.
D'autre part, le lecteur ne devrait pas oublier, au risque d'offusquer certains chrétiens, qu'on retrouva dans la révolution agraire des communautés andalouses ou aragonaises de l’Espagne plongée dans la guerre civile de 1936-39, la mémoire utopique de l’organisation des reducciones, hélas « décentrée » de son pôle religieux métaphysique ; et, de même que la révolution sociale des jésuites du Paraguay fut écrasée par les puissances étatiques du libéralisme naissant, l’expérience de l’Espagne libertaire fut étouffée par le centralisme stalinien allié objectif du fascisme et du capitalisme totalitaires.
Après la lecture de ce grand roman d’Eugenio Corti, on se demandera donc si la révolution véritable, tentée par le jésuites pour la plus grande Gloire de Dieu – ce qui implique aussi le bonheur et le salut des hommes – n’est pas demeurée quelque part entre le ciel et la terre et si notre misère présente, et sans doute restant à venir, n’est pas une des conséquences de cette tragique occasion manquée.
Après la lecture de ce grand roman d’Eugenio Corti, on se demandera donc si la révolution véritable, tentée par le jésuites pour la plus grande Gloire de Dieu – ce qui implique aussi le bonheur et le salut des hommes – n’est pas demeurée quelque part entre le ciel et la terre et si notre misère présente, et sans doute restant à venir, n’est pas une des conséquences de cette tragique occasion manquée.
Alain Santacreu
Eugenio Corti
La Terre des Guaranis
L'Âge d'Homme, 2008
384 pages, 25€