Le Linceul de Turin (jeudi, 06 janvier 2011)

L'épreuve du Feu célestiel

 

                                                                                 Jean-Marie Mathieu

 

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                                             « Il y a le creuset pour l'argent, le fourneau pour l'or,

 mais  Y H W H  éprouve les cœurs ! »     

Pr 17, 3

                                                                                                                               

     Qui a une sensibilité d'artiste ne peut pas ne pas être remué jusqu'au plus profond de l'âme en contemplant le Visage aux yeux fermés empreint sur le Linceul de Turin et apparu en pleine clarté en 1898 grâce au procédé photographique. Visage  respirant tout à la fois majesté et humilité, noblesse et paix, force et miséricorde  confondantes. Le poète Paul Claudel écrivit  de Brangues-par-Morestel, en date du 16 août 1935, cette lettre adressée à Gérard Cordonnier qui venait de publier un opuscule sur le saint Suaire [1] :

      « Plus qu'une image, c'est une présence ! Plus qu'une présence, c'est une photographie, quelque chose d'imprimé et d'inaltérable. Et plus qu'une photographie, c'est un négatif, c'est-à-dire une activité cachée ( un peu comme la Sainte Écriture elle-même, prendrai-je la liberté de suggérer ) et capable sous l'objectif de réaliser en positif une évidence ! (...) Nous sommes en possession de la photographie du Christ. Comme cela ! C'est Lui ! C'est Son visage ! (...) Quel visage ! On comprend ces bourreaux qui ne pouvaient le supporter et qui, pour en venir à bout, essayent encore aujourd'hui, comme ils peuvent, de le cacher. »

      Cette pièce de lin mortuaire dérange au point de susciter indéfiniment l'objection : elle n'est pas celle qui a entouré le corps de Jésus de Nazareth, 'Roi des Judéens' mort crucifié à Jérusalem vers l'an 30 de notre ère. À l'évêque de Troyes, Mgr Pierre d'Arcis, prétendant qu'il s'agissait d'une vulgaire peinture, le pape Clément VII d'Avignon, en 1390, intima le silence sous peine d'excommunication. On sait que le chanoine Ulysse Chevalier (1841-1923), célèbre opposant redoutable à l'authenticité et qui était une des 'gloires' du diocèse de Valence-sur-Rhône, s'est disqualifié par ses fraudes –   attitude indigne de la part d'un homme de Dieu –  fraudes démasquées et mises au jour par le Pr Emmanuel Poulle. [2]

                                                Sic transit gloria mundi...

      Les adversaires acharnés de l'authenticité du Linceul de Turin crurent tenir enfin l'arme absolue en 1988 avec les analyses réalisées grâce au test du carbone 14. Mais deux scientifiques français, le Dr Jean-Maurice Clercq et Dominique Tassot, ingénieur des Mines, alertèrent aussitôt l'opinion publique en pointant les failles de ce système d'analyse. [3] Et voici que récemment était révélé l'inimaginable : la Providence a guidé la main de ceux qui prélevèrent les échantillons sur le Linceul en 1978, puisqu'il s'est avéré que ces quelques centimètres carrés de lin ( du 1er siècle de notre ère,  le Linceul étant authentique )  contenaient également des fils de coton rajoutés au XVIème siècle, réduisant ainsi à néant, et faisant même, si l'on y réfléchit bien, sombrer dans le ridicule les différents âges annoncés à grands renforts de trompe médiatique.  Il en restera à jamais un dégoûtant goût de cendres dans la bouche de tous ceux qui ne jurèrent que par « 1260-1390 ! » [4] et qui viennent de subir l'épreuve du feu.

                                 Dispersit superbos mente cordis sui... [5]                               

      Désormais, aux yeux de nombreux scientifiques des différentes disciplines, l'authenticité du Linceul de Turin ne pose plus aucun problème. Cette magnifique toile de lin  offerte par Joseph d'Arimathie a bien entouré le corps de Jésus de Nazareth, crucifié et mort sous Ponce Pilate vers l'an 30 de notre ère. Le  Symposium tenu à Rome en 1993  attend toujours ses téméraires hypothétiques contradicteurs. [6]

      Les artistes, grâce à leur 'sixième sens ', voient ce que les autres ne remarquent pas ; les scientifiques, grâce à leurs instruments, aboutissent à des conclusions certaines. Et les hommes d'Église ? demandera-t-on, puisque le saint Suaire gardé actuellemment à Turin appartient au Saint-Siège. Les voici, de nouveau et plus que jamais, à l'épreuve du Linceul.  Comme l'explique l'épistémologue et mathématicien Arnaud Upinsky, le Linceul fut reconnu authentique dès 1473 par le pape Sixte IV ; il y eut ensuite la bulle de Jules II en 1506, établissant la fête du saint Suaire.[7] Mais depuis 1988 les hommes d'Église, sur la défensive, ne parlent plus que d' « icône » et non de « relique », à l'instar du cardinal Saldarini en 1998.

      L'année 2010 marquera probablement un tournant. En mai dernier, en effet, le pape Benoît XVI s'est rendu à Turin et nous a donné une très belle méditation devant le Linceul, au cours de laquelle il déclara «  c'est une icône écrite avec du Sang ». Une icône, nos frères orthodoxes le savent bien, est 'écrite', bien qu'il s'agisse en réalité de peinture.  Corrigeant les propos du successeur de Pierre, on pourrait dire que le Linceul est « une icône écrite avec le Sang du Fils fait chair et avec le Feu du Saint-Esprit ». C'est donc une icône 'non faite de main d'homme', la Tradition avait raison.[8]

      Le Linceul est aussi, comme aime à le rappeler Arnaud Upinsky, 'le signe de Jonas' dont nos contemporains devraient méditer le message. Les deux pans de cette toile de lin tissée en chevrons, en forme d' 'arêtes de poisson', ont bien, telles deux mâchoires formidables, comme 'avalé', la tête la première, le corps sans vie du Messager de la Bonne Nouvelle déposé dans le tombeau neuf de Joseph d'Arimathie.[9] Mais il y avait ici « bien plus que Jonas », et le corps glorieux du Ressuscité passa à travers le linge au matin de Pâque, y laissant son 'message' duel d'outre-shéol, vrai diplôme, acte solennel du Seigneur des seigneurs Y H Sh W H    יהשוה    signé de son Sang, authentifié par son Sceau, invincible comme la Vérité. Le Vivant a vaincu la mort !

      Cette pièce à conviction, qui a échappé miraculeusement à deux incendies mémorables ( à Chambéry en 1532 et à Turin en 1997 ), si elle était enfin reconnue 'authentique' par le Pape, serait d'un grand secours pour l'évangélisation des croyants israélites et musulmans. Les Juifs ne nient pas la mort en croix de Jésus de Nazareth, ils peuvent même lire dans le Talmud de Jérusalem, traité Sanhédrin 43 a : « La Tradition rapporte : la veille de la Pâque, on a pendu Yéshou ישו (...) C'était un séducteur. »Le Linceul de Turin  prouve que le corps de Jésus s'est en quelque sorte dématérialisé au matin de Pâque, avec dégagement de chaleur, ce qui explique à la fois l'empreinte et l'image tridimentionnelle unique au monde, infalsifiable, la plus chargée de sens et la mieux étudiée de tous les temps. Les musulmans, de leur côté, peuvent lire dans le Coran, sourate 4, verset 157 :  « Nous avons vraiment tué le Messie, Îsâ   fils de Marie, le messager d'Allah... Or, ils ne l'ont ni tué ni crucifié, mais ce n'était qu'un faux semblant. »[10] Le célèbre historien musulman Tabari (839-923) commente: « Les Juifs traînèrent ῾Îsâ à un endroit où ils avaient préparé une croix pour le crucifier, et un grand nombre de Juifs se rassemblèrent autour de lui. Ils avaient un chef nommé Yéshû'a, qui était également parmi eux. » Ce fut ce Yéshou'a (Josué-Jésus) qui aurait donc été crucifié en lieu et place du Messie  ῾Îsâ 'fils de Marie'. [11] Le  Linceul de Turin prouve sans contestation possible que le corps qui y fut déposé mourut bien sur une croix, les plaies l'attestent. Et comment douter que ce corps fut réellement celui de Jésus de Nazareth 'premier-né d'entre les morts' ! Saint Jean l'évangéliste a témoigné pour tous les âges : « Alors entra à son tour l'autre disciple, arrivé le premier au tombeau. Il vit et il crut. En effet, ils n'avaient pas encore compris que, d'après l'Écriture, Il  devait ressusciter des morts. »[12]

         Saint Paul, cet Hébreu fils d'Hébreux, versé dans tous les savoirs rabbiniques de son époque, converti sur la route de Damas et devenu ardent missionnaire de l'Évangile, nous permet d'entr'apercevoir les vertigineux mystères divins. Il écrit en effet aux chrétiens de Colosses, à propos du Christ: «  Il est l'icône du Dieu invisible, Premier-né de toute créature (...) Il est le Principe, Premier-né d'entre les morts. »Quant à l'épître aux Hébreux, elle nous annonce avec solennité que ce Fils qui soutient l'univers par sa parole puissante est, de Dieu le Père, « rayonnement de sa gloire, empreinte de sa substance ».[13]  Se dessine ainsi une remarquable analogie trinitaire avec le  Linceul de Turin:

Y    :  Père des cieux, à la gloire et à la substance invisibles ;

W  : Fils incarné, adorable icône visible du Dieu invisible, rayonnement de sa gloire, empreinte de sa  substance.

HH : Saint Linceul, véritable  icône 'écrite' avec le Sang du Fils et avec le Feu du Saint-Esprit,  inestimable  relique de lin sur laquelle le rayonnement (nucléaire ?) du corps glorieux de Jésus a encrypté l'empreinte duelle, en reflet, en vis-à-vis, de la Personne hypostase du Verbe fait chair ressuscité dans la puissance de l'Esprit.

       Pour couronner l'ensemble, la langue hébraïque   nous offre cette perle enfouie dans le champ paternel : le mot hébreu cH W R  חור ,   qui sert à désigner le lin blanc, est l'exact vis-à-vis en reflet du mot R W cH   רוח   = Esprit.[14]       

      Dans sa lettre citée plus haut, Claudel continuait : « Ce que nous apporte cette apparition formidable, c'est encore moins une vision de majesté écrasante que le sentiment en nous, par-dessous le péché, de notre indignité complète et radicale, la conscience exterminatrice de notre néant. Il y a dans ces yeux fermés, dans cette figure définitive et comme empreinte d'éternité, quelque chose de destructeur. Comme un coup d'épée en plein cœur qui apporte la mort, elle  apporte la conscience. Quelque chose de si horrible et de si beau qu'il n'y a moyen de lui échapper que par l'adoration. »

      Ces yeux fermés, d'une gravité mystérieuse, d'une éprouvante douleur, d'une indicible douceur et pureté, nous invitent à lire ces lignes inscrites au Livre de la Sagesse [15]: « Tu as pitié de nous, parce que Tu peux tout ; Tu fermes les yeux sur les péchés des hommes, pour qu'ils se repentent. Oui, Tu aimes tous les êtres et n'as de dégoût pour rien de ce que Tu as fait. »  Merci !

 

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Notes :

[1] : Cordonnier, Gérard, Le Christ dans sa Passion révélée par le saint Suaire de Turin, Paris, 1934.

[2] : Cf. Revue d'Histoire de l'Église de France, t. 92 (n° 229) juillet-décembre 2006, pp. 343-358, article repris dans Le Cep n° 43, 2008, pp. 23-41 : 'Le Linceul de Turin, victime d'Ulysse Chevalier', à lire en ligne sur le site :  Le-cep.org.

[3] : Leclercq, Jean-Maurice Dr & Tassot, Dominique, Le carbone 14 face au Linceul de Turin, Paris, Éd. de l'OEIL, 1988.

[4] :Deux nombres inoubliables pour n'importe quel kabbaliste : 26 et 39 entourés de 1 et 0 !

[5] : Lc 1, 51.

[6] : Actes du Symposium scientifique international, 'L'identification scientifique de l'homme du Linceul : Jésus de Nazareth', Rome, 1993, édités par le CIELT, Paris, F-X de Guibert, 1995.

[7] : Upinsky, Arnaud-Aaron, L'Église à l'épreuve du Linceul. « Et vous, qui dites-vous que je suis ? », Paris, F.-X. de Guibert, 2010, 3ème édit. mise à jour, pp. 28-30.

[8] : 'non faite de main d'homme', acheïropoiètès = ἀχειροποίητης .

[9] : Jésus enfant voulut être sous la protection tutélaire de saint Joseph le Juste, analogué du Père céleste, époux très chaste de la Vierge Marie ; mort, il désira s'entourer encore d'un Joseph, soulignant ainsi symboliquement le 'retour à son Père'. Ne pas s'étonner de l'importance accordée au personnage de Joseph d'Arimathie dans la Légende du Graal... On admirera le tableau de La Nativité exécuté par Georges de La Tour en 1640 : l'artiste français y a représenté l'Enfant Jésus, yeux fermés, le corps serré dans des langes blancs rappelant le suaire.

[10] :Cf. Mathieu, Jean-Marie, Le Nom de gloire, essai sur la Qabale, Éd. DésIris, 1992, pp. 140-143 où sont expliqués le sens de  Yéshou et celui  de  ᷾Îsâ.

[11] : Cf. Tabari, La Chronique. De Salomon à la chute des Sassanides, Arles, Actes-Sud, 2002, p. 114. Peut-être ce Yéshou᷾'a est-il le brigand nommé Jésus Barabbas (en Mt 27, 16) que Pilate présenta à la foule aux côtés de Jésus de Nazareth. Benoît XVI note que l'évangéliste, en présentant  Barabbas comme un 'prisonnier bien connu' ayant participé à une émeute, le fait ressortir comme s'il avait été « un des résistants les plus éminents, voire le véritable meneur de cette émeute » ; cf. Jésus de Nazareth, Paris, Flammarion, 2007, p. 60.

[12] : Jn 20, 8-9.

[13] : Col 1, 15 et 18 : icône : eïkôn = εἰκων

                                    Premier-né : prôtotokos = πρωτοτοκοϛ

           He 1, 3 :   rayonnement : apaugasma  = ἀπαυγασμα

                            gloire : doxès = δόξης

                            empreinte : charaktèr = χαρακτηρ

                            substance : hupostaséôs = ὑποστασεωϛ .

[14] : Cf. Mandelkern, Salomon, Concordantia hebraïca, Tel-Aviv, 1978, p. 377 : linteum candidum et subtile , où son données les quatre occurrences bibliques : Est 1, 6 et 8, 15 ; Gn 40, 16  &  Is 19, 9.  Sur le site internet Wiktionnaire,  au mot Linceul, est donnée l'étymologie: du latin linteum = « petite pièce de lin », accompagnée d'une représentation du Linceul de Turin.

[15] : Sg 11, 23-24.

 

 

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