Voie mystique ou voie initiatique ? (mercredi, 22 février 2006)
Dans son magnifique site D'Orient et d'Occident, Jean Moncelon vient de recenser La Contrelittérature : un manifeste pour l'esprit. Son compte-rendu soulève des questions essentielles auxquelles nous souhaitons répondre et qui nous permettront, ainsi que nous l'avons décidé d'un commun accord, d'établir un prochain dialogue.
Depuis 1999, la revue Contrelittérature entretient la flamme d’une démarche singulière : « Nous sommes partis de cette évidence, énoncée un jour par Henry Montaigu, qu’« il n’y avait qu’un seul scandale, et c’est la manifestation ». Mais ce scandale, ajoute Alain Santacreu, « est d’abord celui de l’homme séparé de Dieu et c’est par l’homme qu’il arrive ».
Paraît aujourd’hui aux éditions du Rocher ce Manifeste pour l’esprit, qui en approfondit le sens et en déploie toute l’intention. C’est à Alain Santacreu que revient la responsabilité de présenter cette démarche, tandis que les auteurs qui y adhèrent l’appliquent à divers domaines de l’art : la musique, le théâtre, la poésie, ainsi qu’à la théologie. On retiendra plus particulièrement les contributions de Luc-Olivier d’Algange et de Marikka Dervoucoux. Le premier s’attache au poète romantique allemand Novalis – « L’espace des météores » – la seconde à qui l’on doit un ouvrage sur Marie des Vallées, la « sainte de Coutances », à l’écriture de Dieu : « Le corps de sable ou l’écriture de Dieu ».
Notons dès à présent que la démarche en question qui est une révolte contre la littérature contemporaine, à laquelle il est difficile de ne pas souscrire, semble plus mystique qu’ésotérique. Il est dit, par exemple, à la p. 50 : « Pour atteindre ce pays de l’Imam caché ou rejoindre la contrée où se trouve le château du Vieux Roi Espiritaus, le héros aura soin de suivre scrupuleusement cet avertissement de sainte Thérèse d’Avila :
« Il n’y a qu’un chemin, c’est l’oraison. Si on vous en indique un autre, on vous trompe ». La double référence à la démarche théosophique de l’Islam iranien, selon l’expression de Henry Corbin, et à la pratique de l’oraison chez les Carmes peut entraîner quelques confusions dans l’esprit du lecteur. De même, p. 63, lorsqu’il est affirmé que « le langage des « intersignes » dont parle Louis Massignon, est celui de la langue des oiseaux ».
Quoi qu’il en soit, il convient de distinguer entre l’intention qui est fondamentalement de se ressaisir, par la « contrelittérature », d’une « langue angélique », qui demeure très éloignée, et quasiment ignorée, de la littérature que nous connaissons actuellement, et le chemin – sera-t-il mystique ou initiatique ? - qui reste à parcourir pour atteindre cette « langue ». Pour ce qui est de l’intention, René Guénon remarquait déjà, en 1931, que « la poésie, originairement, n’était point cette vaine « littérature » qu’elle est devenue par une dégénérescence qu’explique la marche descendante du cycle humain ». 75 ans plus tard, la Contrelittérature apparaît comme une réaction d’autant plus pertinente que, d’une part, elle se trouve confrontée à une littérature dont on pourrait penser qu’elle a atteint son fond, ou son abîme, et que, d’autre part, elle prétend à un combat pour l’Esprit – ce qui, effectivement, dans une perspective mystique, revient à s’engager dans cette « grande guerre sainte (…) par laquelle l’amour s’en retourne à sa source. »
Reste le chemin lui-même : voie mystique, comme le suggèrent les références à Ste Thérèse de Lisieux, ou voie initiatique ? Voie de Marie des Vallées, du Cœur sacré de Notre Seigneur et des stigmatisées, les « colombes poignardées » où l’on retrouve Louis Massignon, ou bien voie alchimique ou « philosophale » à laquelle il est fait mention à plusieurs reprises ? Remarquons toutefois qu’il n’est guère possible de parler indifféremment des « œuvres alchimiques de Paracelse, de Boehme ou de Novalis » (p.90). De même, s’agissant de ce dernier, on ne comprend pas comment « l’ivresse et l’extase » seraient « ces formes ultimes de la connaissance pressenties par Novalis » ! Personne n’est moins « ivre », moins « extatique » que le poète romantique allemand pour qui « la vie parfaite est le Ciel ». L’expérience spirituelle de Novalis, comme celle de Jacob Boehme, est initiatique, et non mystique.
La Contrelittérature est une démarche en devenir, dont les chemins, sans doute multiples, gagneront à distinguer entre mystique et initiation. Elle n’en est pas moins à son commencement parfaitement « orientée ». Comme l’écrit de manière exemplaire Luc-Olivier d’Algange : « Avant tout, il importe de reconquérir cet espace que Henry Corbin a nommé l’«Imaginal », qui n’est autre que l’imagination vraie de la théologie. » Ici, la référence à cette notion vitale, mais si peu retenue par nos penseurs contemporains, prend toute sa mesure, car ce n’est pas seulement la littérature qui est atteinte par ce mal typique de notre monde moderne qu’est « le règne de la quantité ». Or, quel est ce mal ? Sinon celui dont nous mourrons finalement si nous n’en venons pas à recourir, et à temps, au seul antidote qui nous reste en Occident : la reconquête de cet « envers du monde visible » qui donne sa plénitude à l’homme, dans sa relation au divin, à l’homme intégral, pourrait-on dire, à cet homme traditionnel qui fut celui de notre Occident chrétien jusqu’à la fin du moyen âge.
Et, pour ce qui est de la littérature proprement dite, certes, on conclura avec Alain Santacreu que « la Contrelittérature est le réenchantement du monde comme roman : elle est l’écriture du monde comme relation ».
Paraît aujourd’hui aux éditions du Rocher ce Manifeste pour l’esprit, qui en approfondit le sens et en déploie toute l’intention. C’est à Alain Santacreu que revient la responsabilité de présenter cette démarche, tandis que les auteurs qui y adhèrent l’appliquent à divers domaines de l’art : la musique, le théâtre, la poésie, ainsi qu’à la théologie. On retiendra plus particulièrement les contributions de Luc-Olivier d’Algange et de Marikka Dervoucoux. Le premier s’attache au poète romantique allemand Novalis – « L’espace des météores » – la seconde à qui l’on doit un ouvrage sur Marie des Vallées, la « sainte de Coutances », à l’écriture de Dieu : « Le corps de sable ou l’écriture de Dieu ».
Notons dès à présent que la démarche en question qui est une révolte contre la littérature contemporaine, à laquelle il est difficile de ne pas souscrire, semble plus mystique qu’ésotérique. Il est dit, par exemple, à la p. 50 : « Pour atteindre ce pays de l’Imam caché ou rejoindre la contrée où se trouve le château du Vieux Roi Espiritaus, le héros aura soin de suivre scrupuleusement cet avertissement de sainte Thérèse d’Avila :
« Il n’y a qu’un chemin, c’est l’oraison. Si on vous en indique un autre, on vous trompe ». La double référence à la démarche théosophique de l’Islam iranien, selon l’expression de Henry Corbin, et à la pratique de l’oraison chez les Carmes peut entraîner quelques confusions dans l’esprit du lecteur. De même, p. 63, lorsqu’il est affirmé que « le langage des « intersignes » dont parle Louis Massignon, est celui de la langue des oiseaux ».
Quoi qu’il en soit, il convient de distinguer entre l’intention qui est fondamentalement de se ressaisir, par la « contrelittérature », d’une « langue angélique », qui demeure très éloignée, et quasiment ignorée, de la littérature que nous connaissons actuellement, et le chemin – sera-t-il mystique ou initiatique ? - qui reste à parcourir pour atteindre cette « langue ». Pour ce qui est de l’intention, René Guénon remarquait déjà, en 1931, que « la poésie, originairement, n’était point cette vaine « littérature » qu’elle est devenue par une dégénérescence qu’explique la marche descendante du cycle humain ». 75 ans plus tard, la Contrelittérature apparaît comme une réaction d’autant plus pertinente que, d’une part, elle se trouve confrontée à une littérature dont on pourrait penser qu’elle a atteint son fond, ou son abîme, et que, d’autre part, elle prétend à un combat pour l’Esprit – ce qui, effectivement, dans une perspective mystique, revient à s’engager dans cette « grande guerre sainte (…) par laquelle l’amour s’en retourne à sa source. »
Reste le chemin lui-même : voie mystique, comme le suggèrent les références à Ste Thérèse de Lisieux, ou voie initiatique ? Voie de Marie des Vallées, du Cœur sacré de Notre Seigneur et des stigmatisées, les « colombes poignardées » où l’on retrouve Louis Massignon, ou bien voie alchimique ou « philosophale » à laquelle il est fait mention à plusieurs reprises ? Remarquons toutefois qu’il n’est guère possible de parler indifféremment des « œuvres alchimiques de Paracelse, de Boehme ou de Novalis » (p.90). De même, s’agissant de ce dernier, on ne comprend pas comment « l’ivresse et l’extase » seraient « ces formes ultimes de la connaissance pressenties par Novalis » ! Personne n’est moins « ivre », moins « extatique » que le poète romantique allemand pour qui « la vie parfaite est le Ciel ». L’expérience spirituelle de Novalis, comme celle de Jacob Boehme, est initiatique, et non mystique.
La Contrelittérature est une démarche en devenir, dont les chemins, sans doute multiples, gagneront à distinguer entre mystique et initiation. Elle n’en est pas moins à son commencement parfaitement « orientée ». Comme l’écrit de manière exemplaire Luc-Olivier d’Algange : « Avant tout, il importe de reconquérir cet espace que Henry Corbin a nommé l’«Imaginal », qui n’est autre que l’imagination vraie de la théologie. » Ici, la référence à cette notion vitale, mais si peu retenue par nos penseurs contemporains, prend toute sa mesure, car ce n’est pas seulement la littérature qui est atteinte par ce mal typique de notre monde moderne qu’est « le règne de la quantité ». Or, quel est ce mal ? Sinon celui dont nous mourrons finalement si nous n’en venons pas à recourir, et à temps, au seul antidote qui nous reste en Occident : la reconquête de cet « envers du monde visible » qui donne sa plénitude à l’homme, dans sa relation au divin, à l’homme intégral, pourrait-on dire, à cet homme traditionnel qui fut celui de notre Occident chrétien jusqu’à la fin du moyen âge.
Et, pour ce qui est de la littérature proprement dite, certes, on conclura avec Alain Santacreu que « la Contrelittérature est le réenchantement du monde comme roman : elle est l’écriture du monde comme relation ».