L'acratie théologique de Jean Romanides (jeudi, 03 janvier 2013)
Jean Romanides était prêtre grec orthodoxe, écrivain et professeur. Il fut pendant très longtemps le représentant de l'Église grecque auprès du Conseil Mondial des Églises. Né le 2 mars 1927 au Pirée en Grèce il grandit toutefois aux États-Unis, à Manhattan, où ses parents avaient émigré lorsqu'il n'avait encore que deux mois. Diplômé du Hellenic College de Brooklin et de la Divinity School de Yale, il reçut son titre de docteur de l'Université d'Athènes.
De 1956 à 1965, il occupa la chaire de théologie dogmatique à la Holy Cross Theological School de Brooklin. De 1968 jusqu'en 1982, il enseigna cette discipline à l'Université de Thessalonique. Enfin, pour son dernier poste, il exerça à l'école théologique de Balamand au Liban. Il est décèdé à Athènes en 2001.
Le Père Jean (Romanides) a développé de nombreuses études et réflexions, certaines assez controversées, sur les différences culturelles et religieuses entre les Chrétientés d'Orient et d'Occident et sur la façon dont ces divergences ont influencé le développement et le vie du christianisme dans ces aires culturelles. Ses rétudes approfondies en théologie dogmatique l'ont amené à cette conclusion qu'il existe un lien étroit entre les divergences doctrinales et les développements historiques. C'est pourquoi, lors des dernières années de sa vie, il se se concentra sur ses recherches historiques (période médiévale mais également le XVIIIe et le XIXe siècles).
Ses travaux théologiques mettent l'accent sur la base empirique de la théologie : la theoria ou vision de Dieu en tant que nettement opposée à la spéculation intellectuelle (la « contemplation » des faux théologiens et des ésotéristes). Cette theoria est donc, pour le Père Jean, l'essence même de la théologie orthodoxe. Il identifiait, en outre, l'hésychasme au coeur de la pratique chrétienne et c'est en ce sens qu'il étudia en profondeur les oeuvres du grand hésychaste et théologien du XIVesiècle, saint Grégoire Palamas.
Extraits de The Cure of the sickness of religion et de Life in Christ (Traduction de Thierry Jolif-Maïkov)
Sur la cure de la maladie religieuse
« La différence, de base, entre les trois évangiles de Matthieu, Marc et Luc d’un côté, et de l’évangile de Jean de l’autre, est due aux deux étapes de la cure correspondant à l’Ancien et au Nouveau Testament corrélés aux deux centres de la personnalité humaine, le premier étant le cerveau (ou intellect) qui fait partie du système de la moelle épinière dans lequel circule le liquide céphalo-rachidien, le second étant le coeur dans lequel circule le sang ; et c’est le coeur qui a besoin de la cure pour sa purification et son illumination afin d'être consumé dans la glorification de la personne toute entière.
Les évangiles de Matthieu, Marc et Luc, accompagnés de textes de l'Ancien Testament, en particulier des Psaumes, étaient utilisés, comme éléments du processus de purification et d'illumination des coeurs des catéchumènes consumés par la célébration de la passion et de la crucifixion du Seigneur de Gloire dans laquelle ils avaient été baptisés lors du Samedi Saint. Ces baptêmes étaient suivis par la célébration de la résurrection du Christ et de l'Eucharistie de Pâques, lors de laquelle l'évangile de Jean commençait à être lu et interprété durant cette période de cinquante jours qui menait jusqu'au dimanche de la Pentecôte. Au cours de cette période d'instructions johanniques, on attendait de chacun qu'il progressât depuis l'état de purification de l'esprit dans le coeur jusqu'à son illumination par les prières et les psaumes ininterrompus, à la différence avec les prières et les psaumes dans l'intellect à certains moments. Alors, il devenait possible de distinguer entre celui dont la prière dans le coeur devenait incessante, et se révélait de fait un Membre du Corps du Christ, et celui qui, ayant connu cette prière ininterrompue, l’avait perdue et, s'étant satisfait de l'avoir connue, se trouvait en grand danger de la perdre pour toujours : « Ne pensons pas que nous sommes devenus des membres du Corps une fois pour toutes .» (S. Jean Chrysostome)
[...]
« La communion humaine aux énergies incréées de Dieu qui saturent la création est augmentée par la purifiante, illuminante et glorifiante énergie de Dieu. Le contraste est aigu entre la glorification biblique et la tradition platonicienne et aristotélicienne pour laquelle le bonheur est la plus haute destinée, alors qu'il s'agit là de la réalisation de l'enfer lui-même, c'est-à-dire de la complète satisfaction de chaque désir égocentrique.
Le plus important résultat de la glorification est la révélation qu'il « n'existe aucune similarité d'aucune sorte entre le créé et l'incréé » et qu’ « il est impossible d'exprimer Dieu et plus encore impossible de Le concevoir ». En d'autre termes la Bible Elle-même n'est ni expression de Dieu ni conception de Dieu. C'est uniquement dans les mains des glorifiés qu'elle peut être utilisée pour guider les autres vers la cure de purification et d'illumination du coeur et la glorification. Dans les mains de charlatans cela ne conduit qu'à la destruction de leurs victimes.
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« La maladie de la personnalité humaine consiste en l'affaiblissement de la communion du coeur avec la Gloire de Dieu (Rom, 3:23), par son engluement dans les pensées en provenance de son environnement (Rom, 1:21, 24, 2:5). Dans un tel état, on s'imagine que Dieu se trouve dans l'image d'un ego malade ou même d'animaux (Rom, 1:22). La personne intérieure (eso anthropos) souffre de mort spirituelle « à cause de laquelle tous ont péché » (Rom, 5:12) en devenant esclave de l'instinct de conservation qui, par ses liens, déforme l'amour en une recherche égocentrique de sécurité et de bonheur.
La guérison de cette maladie débute par la purification du coeur de toutes les pensées (Rom, 2:29), bonnes et mauvaises tout ensemble, et par leur restriction à l'intellect. Pour cela, l'esprit, dissipé dans le cerveau doit se concentrer sur lui-même par la prière et, telle une balle de lumière, retourner vers le coeur. Alors on est devenu libre des esclavages à toutes les choses de l'environnement, c'est-à-dire de l'autosatisfaction, de la santé, de la propriété et même de ses parents et de ses proches (Math, 10:37 ; Luc, 14:26). »
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« Les humains qui ne voient pas la gloire incréée de Dieu ne sont pas normaux. En d'autres mots, le seul humain qui soit né normal est le Seigneur de Gloire Qui, par choix, a assumé les passions involontaires (soif, faim, sommeil, peur de la mort...), bien que par nature Il soit la source de la gloire qui les abolit. »
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« Les Patriarches et les prophètes de l'Ancien Testament, les apôtres et prophètes du Nouveau Testament et leurs successeurs, connaissaient bien cette maladie de la religion et le Médecin Qui la guérit : Le Seigneur (YHWH) de Gloire. Il est le Médecin de nos âmes et de nos corps. Il guérissait de cette maladie Ses amis et fidèles avant Son Incarnation et Il continue de le faire en tant que Dieu-homme.
La maladie en question consiste en un court-circuit entre l'esprit de l'homme dans son coeur (la faculté noétique de la patristique) et le cerveau. Dans son état naturel cette faculté noétique tourne en cercle dans le coeur qui prie. Dans son état pathologique elle ne tourne plus en cercle mais, toujours ancrée dans le coeur, elle se déroute elle-même et se fixe au cerveau causant un court-circuit entre le cerveau et le coeur. Dans ce cas les pensées du cerveau, qui proviennent toutes de l'environnement, deviennent les pensées de la faculté noétique toujours ancrée dans le coeur. De cette façon, le patient devient un esclave de son environnement. La conséquence est qu'il en arrive à confondre certaines de ses pensées avec son ou ses dieux.
Dans son état naturel la faculté noétique tourne dans le coeur qui prie, régulée par sa communion avec la Gloire de Dieu, ainsi les passions (faim, soif, sommeil, porter des enfants, l'instinct de préservation de soi, la peur de la mort) sont sans reproche (i.e impeccables). Les mêmes passions, détachées d'une faculté noétique tournant dans le coeur et attachées au cerveau, entraînent pour ce cerveau la création de religions magiques imaginaires, pour contrôler la nature et le destin, ou pour atteindre le salut de l'âme séparée de la matière dans un état de bonheur, ou, pour le dire autrement, le bonheur de l'âme et du corps.
Par le terme religion nous entendons l'identification de l'incréé avec le créé et, de la même manière, toute identification de représentations de l'incréé avec des pensées et des mots appartenant à l'esprit humain, ce qui est la base de l'idolâtrie. Ces pensées et ces mots peuvent être simplement des pensées ou des mots ou bien encore des représentations statuaires ou iconographiques à partir d'un texte supposément inspiré. En d'autres termes, même l'identification des mots et des pensées bibliques à propos de Dieu avec l'incréé appartient également au monde de l'idolâtrie et forme la base de toutes les hérésies jusqu'à ce jour. Les mots et les pensées bibliques, lorsqu'ils sont correctement utilisés, mènent à la glorification mais ne sont pas en eux-mêmes la glorification.
Dans la tradition curative de l'Ancien et du Nouveau Testament les pensées et les mots appropriés sont utilisés comme moyens durant la période de purification et d'illumination du coeur. Ils sont comme abolis pendant le temps de la glorification, lorsque la gloire de Dieu, indescriptible, incompréhensible et incréée, qui sature toute chose, se révèle comme ayant pour source naturelle le Corps du Christ. Lorsque la phase de glorification est achevée, les pensées et les mots de la prière noétique dans le coeur réapparaissent. Celui qui a souffert la glorification a désormais vu par lui-même qu'il n'y a aucune similarité entre l'incréé et le créé et qu'il est « impossible d'exprimer Dieu et encore plus impossible de Le concevoir ».
[...]
« La glorification n'est pas un miracle mais l'étape finale normale de la transformation de l'amour égocentrique en amour non-égoïste. Jean et Paul considèrent tous deux très clairement que la vision du Christ en gloire dans cette vie est nécessaire pour la perfection de l'amour et le service à la société (Jn. XIV, 21-24 ; XVI, 22 ; XVII, 24 ; 1Cor. XIII, 10-13 ; Eph. III, 3-6). Les apparitions du Christ ressuscité en gloire n'étaient pas, et ne sont pas, des miracles accomplis pour contraindre les observateurs présents à croire en Sa Divinité. Le miracle ce fut la crucifixion du Seigneur de Gloire, non sa résurrection. »
Sur la « prière du coeur »
« Paul parle des psaumes et des prières, non pas récités par la propre bouche de quelqu'un, mais entendus comme venant du coeur. Cette illumination du coeur neutralise l'esclavage de l'instinct de préservation de soi et entame la transformation de l'amour possessif en amour-non-égoïste. Ceci est le don de la foi à la personne intérieure qui est sa justification, sa réconciliation, son adoption, sa paix, son espoir et sa vivification.
Ces psaumes et prières incessantes dans le coeur (Eph. 5:18-20) transforment l'individu privé (idiotês) en un temple de l'Esprit Saint et un membre du Corps du Christ. Ils sont le début de la libération des entraves de l'environnement, non par un retrait hors de celui-ci, mais par son contrôle ; non par l'exploitation, mais par l'amour désintéressé. C'est ainsi que : « la loi de l'Esprit de vie en Christ Jésus m'a affranchi de la loi du péché et de la mort... Si quelqu'un n'a pas l'Esprit de Christ, il ne lui appartient pas. Et si Christ est en vous, alors le corps est mort au péché, alors que l'Esprit est vie dans la justice... » (Rom. 8:2 et suivants)
Être justifié par les prières et les psaumes du Saint Esprit dans le coeur, c'est voir le Christ comme dans un miroir « d'une manière obscure » (1 Cor. 13 :12). La glorification, c'est la venue de « ce qui est parfait » (1 Cor. 13:10) par la vision de Christ face-à-face (1 Cor. 13:12). Durant la glorification, qui est révélation, la prière dans le coeur, la connaissance et la prophétie sont abolies de même que la foi et l'espérance ; car elles sont remplacées par Christ Lui-même. Seul l'amour demeure (1 Cor. 13:8-11). Durant la révélation, les mots et les concepts à-propos de Dieu et à Dieu (prières) sont abolies. Après la glorification chacun retourne à l'illumination. La connaissance, la prophétie, les prières, la foi et l'espérance reviennent pour se joindre à l'amour.
La Glorification n'est pas un miracle, mais l'état final normal de la transformation de l'amour égoïste en amour non-égoïste. »
Sur la Vie en Christ
« Le propos premier de la foi, de la théologie et du dogme au sujet de Christ et de Sa relation au Père et au Saint Esprit est de conduire l'humanité à :
1) la purification et l'illumination du coeur, i-e, la thérapie du centre de la personne humaine,
2) la glorification (theosis), qui est la perfection de la personne, dans la vision de la gloire incréée et du règne (basileia) de Christ dans et parmi Ses saints, les membres de Son Corps, l'Église.
La foi, la prière, la théologie et le dogme sont les méthodes thérapeutiques sur la voie de l'illumination à la perfection qui, une fois atteinte, abolit foi, prière, théologie et dogme, puisque leur but final est leur abolition dans la glorification et l'amour désintéressé. »
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« Les Pères ont toujours refusé les spéculations abstraites sur Dieu, sur Sa relation à la Création, et ont toujours insisté sur l'approche empirique de l'union à Dieu par la purification et l'illumination du coeur. C'est dans ce contexte que leurs termes praxis (action, acte) et theoria (vision) doivent être compris. Il ne s'agit pas de la distinction médiévale de l'Occident entre vie active et vie contemplative. Praxis, c'est la purification du coeur et theoria, la vision de la gloire que le coeur possède déjà par la foi intérieure de l'illumination ou glorification ou theosis. Theosis c'est la vision de la gloire de Dieu en Christ. La theosis n'est pas l'illumination ni simplement la participation à la Sainte Eucharistie comme le croient certains orthodoxes aujourd'hui.
Ces distinctions présupposent le fait que le coeur, et non l'intellect, soit le centre de la spiritualité, l'endroit où se trouve formé le théologien ; et aussi le fait que, généralement, le coeur ne fonctionne pas correctement. »
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« Afin que cette thérapie soit vue dans sa perspective propre en relation avec le monde, au sens large, il faudrait montrer que, si le judaïsme prophétique et son successeur, le christianisme, étaient apparus au XXesiècle, ils auraient peut-être été classés non parmi les religions mais parmi les sciences médicales telle que la psychiatrie mais avec un plus grand impact sur la société, au vue de leurs réussites dans la guérison, à des degrés divers, de la maladie qui consiste en un fonctionnement partiel de la personnalité humaine. En aucun cas ils n'auraient pu être confondu avec les religions qui, par diverses pratiques et croyances magiques, promettent l'évasion d'un monde matériel allégé du poids du mal ou d'un monde d'illusions vers un monde de sécurité et de joie. »
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« Une autre façon de regarder cela c'est de se concentrer un peu plus sur les implications de la compréhension biblique et patristique du paradis et de l'enfer. Dieu Lui-même est, en même temps paradis et enfer, pardon et punition. Tout être humain a été créé pour voir, sans interruption, Dieu dans la gloire incréée de Christ. Que Dieu soit, pour chaque homme, ou le paradis ou l'enfer, pardon ou punition dépend de la réponse de l'homme à l'amour de Dieu en Christ et de son acceptation de la prescription pour transformer son amour égoïste et egocentré en l'Amour-Dieu. »
L'Église de Christ et la société
« Aussi bien Paul que Jean considèrent clairement que la vision de Christ en cette vie est nécessaire pour la perfection de l'amour et le service à la société.
Personne ne peut dire Jésus est Seigneur dans le coeur sauf par l'Esprit et, par l'Esprit, personne ne peut dire Jésus est anathème (1 Cor. 12:3). Ceci c'est la spiritualité biblique et patristique et le pouvoir par lequel il est impossible de faire renoncer par la torture à Christ, au temple de l'Esprit Saint. Une telle renonciation prouverait simplement que cette personne n'était pas réellement un membre du Christ. La mission première des temples du Saint Esprit était de travailler à leur emploi, quel qu'il soit et de transmettre leur propre guérison aux autres. Ils travaillaient, littéralement, dans leurs sociétés avec une capacité similaire à celle des psychiatres. À cette différence, toutefois, qu'ils ne recherchaient pas l'équilibre mental par conformité aux standards sociaux de la normalité. Leur standard de normalité était la glorification. Leur pouvoir de guérison n'était pas, et n'est pas, de ce monde. Bien plutôt étaient-ils dans ce monde comme éléments de sa transformation. »
[...]
« Le propos des Églises Apostoliques n'étaient pas de réfléchir et de spéculer sur Dieu en Lui-même, puisqu'Il demeure un mystère à l'intellect, même lorsqu'Il révèle sa Gloire en Christ à ceux qui participent au mystère de la Croix de Son fils par leur glorification. Leur seul but était la guérison en Christ de chaque individu, guérison apportée par la purification et l'illumination du coeur dans cette vie, pour le service de la société. »
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« Il nous faut avoir une claire vision du contexte dans lequel l'Église et l'État voyaient la contribution des Prophètes à la guérison de la maladie de la personnalité humaine et son perfectionnement, afin de pouvoir comprendre tout à la fois la mission des Synodes et la raison pour laquelle l'Empire Romain les incorpora dans ses codes de loi. Ni l'Église ni l'État ne réduisaient la mission de l'Église au salut par le pardon des péchés pour l'entrée au paradis après la mort. Ceci aurait été l'équivalent des docteurs pardonnant à leur patients d'être malades afin qu'ils puissent être guéris après la mort. L'Église et l'État savaient très bien que le pardon des péchés n'était que le début de la guérison de la maladie de la quête du bonheur de l'humanité. Cette guérison devait passer par la purification et l'illumination du coeur et culminer dans la perfection de la glorification. Il en résultait non seulement une juste préparation pour la vie après la mort mais également une transformation, ici et maintenant, d'une société composée d'individus égoïstes et égocentriques vers une société d'individus pleins d'un amour altruiste qui ne recherche pas son propre bien. »
[...]
« La Création est complètement dépendante de Dieu, bien qu'il n'y ait absolument aucune similarité entre eux. Ceci signifie qu'il n'existe aucune sorte de différence entre les éduqués et les non-éduqués lorsqu'ils passent par la cure de l'illumination afin de devenir Prophètes par la glorification. Une connaissance supérieure de la réalité créée ne donne aucune sorte de droit en ce qui concerne la connaissance supérieure de la réalité incréée. Pas plus que l'ignorance concernant la réalité créée ne saurait être un obstacle à la connaissance de la réalité incréée. »
[...]
« Les Pères n'ont jamais compris la formulation des dogmes comme faisant partie d'un effort intellectuel pour comprendre les mystères de Dieu et de l'incarnation. Saint Grégoire le Théologien a ridiculisé de tels hérétiques : "Dites-mois quelle est l'innascibilité du Père et je vais vous expliquer la physiologie de la génération du Fils et de la procession du Saint Esprit, et nous serons tous deux frappés de folie furieuse pour avoir voulu sonder le mystère de Dieu. " De même les Pères n'ont jamais suivis la notion augustinienne qui veut que l'Église comprenne de mieux en mieux le mystère avec le temps. Chaque glorification est une participation à toute la Vérité de la Pentecôte lequel ne peut recevoir aucun ajout pas plus qu'être mieux compris. »
( Les textes dont ces extraits ont été traduits sont disponibles en anglais, dans leur intégralité, sur www.romanity.org)
Entretien avec James L. Kelley
( James L. Kelley est un jeune universitaire américain auteur de A Realism of Glory : Lectures on Christology in the Works of Protopresbyter John Romanides, Orthodox Research Institute, 2009.)
James, pour les lecteurs français et francophones qui ne seraient pas très familiers des travaux du Père John Romanides, pourriez-vous exposer les principales orientations de ceux-ci ?
Puisque chaque tâche ou travail devrait commencer par une louange à Dieu je commencerais par une prière : Au Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Amen.
Il y a de nombreuses entrées tout aussi fructueuses les unes que les autres pour présenter l'oeuvre du Père Romanides mais, puisque je m'adresse ici à un public français, je pense que le mieux est de débuter par son approche absolument unique de l'enseignement du Bienheureux Augustin d'Hippone. Le Père Patric (Ranson) fut sans doute le plus important théologien « romanidésien » en France, et ce n'est certainement pas un hasard si sa traduction d'une partie du texte du Père Jean, Franks, Romans, Feudalism and doctrine, a été publié dans l'ouvrage collectif "Dossier H : saint Augustin" ( J. Romanides, "Le Filioque," in Dossier H Saint Augustin, L'Age d'Homme, 1988). Le père Jean a souligné que le Bienheureux Augustin, dans son De Tinitate et quelques autres textes, évoque les Théophanies de l'Ancien Testament (le Buisson ardent, les trois anges qui apparaissent à Abraham...) en tant qu'images créées transmises par les anges qui implémentaient ainsi des concepts dogmatiques directement dans l'esprit de leur récipiendaires.
Cet enseignement était une innovation de l'évêque d'Hippone, puisque tous les anciens Pères enseignaient que Moïse et Abraham (ainsi que tous les prophètes et patriarches de l'Ancien Testament) furent visités par l'énergie incréée, ou gloire de la Sainte Trinité, et non par “d'éphémères concepts et symboles créés à propos de Dieu” (ibid). Pourquoi est-ce si important ?
Premièrement, un enseignement central de l'Église du Christ, depuis le premier siècle jusqu'à aujourd'hui, est que Dieu sauve, non par la médiation de créatures, mais par son propre Amour et par sa propre Vie trinitaire qui transcendent les concepts augustiniens. Deuxièmement, toute la théologie chrétienne non-orthodoxe suit les incompréhensions du bienheureux Augustin. Parce qu'il a mésinterprété, ou peut-être ignoré, l'enseignement de l'Église à propos de l'union de Dieu à l'homme à travers ses énergies incréées. L'évêque africain a étendu ses erreurs à d'autres parties de l'enseignement de l'Église, la “double prédestination” ou le “péché originel hérité” ne sont qu'un exemple des conséquences malheureuses de son influence unilatérale sur la théologie occidentale (voir J. Romanides, Ancestral sin, Zephyr, 2002 et J. Kelley, A realism of Glory, Orthodox Research Institute, 2009). Le Père Jean fut également le premier à mettre au jour les relations entre la théologie anti-orthodoxe du moine calabrais Barlaam (XIVesiècle) et les positions spécifiques du Bienheureux Augustin. Ce qui signifie que l'Église Orthodoxe a condamné les enseignements du bienheureux Augustin concernant la Trinité et les théophanies de l'Ancien Testament, lorsqu'elle a condamné les positions identiques de Barlaam lors des conciles palamites du XIVesiècle.
Encore pour les « profanes », que pouvez-vous nous dire de la réception des travaux du Père Jean au sein de l'Église Orthodoxe ?
Il est assez triste de constater que, dans le monde anglophone, nombre de théologiens, supposément orthodoxes, ignorent les travaux du père Jean ou vont jusqu'à vouloir le déconsidérer. Un livre paru récemment et qui s'intitule Orthodox Readings of Augustine contient une introduction, intitulée Augustine and the Orthodox : The West in the East, écrite par George E. Demacopoulos et Aristotle Papanikolaou. Dans ce texte les auteurs accusent le Père Jean d'avoir mal lu et interprété le Bienheureux Augustin, mais sans offrir la moindre référence afin d'étayer leurs propos. De la même façon l'important travail du Père Jean, Ancestral Sin, est déconsidéré sous le prétexte que sa « lecture des textes d'Augustin sur la grâce et le libre arbitre se fait à travers le prisme de la distinction palamite entre l'essence de Dieu et Ses énergies qui date du XIVesiècle. » Néanmoins ces « Conciles palamites » ne sont rien de moins que les Conciles constantinopolitains du XIVesiècle qui valent pour tous les chrétiens orthodoxes et qui posent que tout orthodoxe doit être en accord avec saint Grégoire Palamas – c'est-à-dire que l'essence de Dieu et Ses énergies ne doivent pas être confondues – ainsi qu'avec le fait que toute la Tradition de l'Église est présente dans l'enseignement correct sur les énergies de Dieu. De ce fait, toute approche des Pères de l'Église qui ne se fait pas à travers cette loupe palamite est fausse par définition. Les auteurs espèrent déconsidérer le Père Jean pour avoir dit qu'Augustin était un « piètre hésychaste » (ibid). Toutefois, l'hésychasme est bel et bien aussi ancien que l'Église, et il est le fondement de la foi orthodoxe depuis les origines de l'Église. La vérité est que les écrits d'Augustin reflètent un enseignement erroné à propos de Dieu, de l'homme et du salut. Bien que la sainteté du Bienheureux Augustin ne soit pas remise en cause ici, ses écrits sont, néanmoins, des expressions inadéquates des enseignements orthodoxes sur la vie spirituelle. Aussi, de ce point de vue, Augustin n'est pas un « bon hésychaste » ! Il est donc important de se rappeller que nombre de ceux qui, aujourd'hui, écrivent en tant qu'« orthodoxes » n'ont ni le bagage ni le discernement pour distinguer entre ce qui est orthodoxe et ce qui ne l'est pas. C'est vraiment malheureux !
Le Père Jean était très « original » lorsqu'il expliquait que la voie du Christ n'est pas une religion mais la guérison de la « maladie de la religion »... Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point de vue, et comment y parvint le Père Jean ?
Bien ! L'Ancien Testament nous montre que Dieu est venu vers l'homme et a proclamé : « Vous n'aurez pas d'autres Dieux devant moi. » Ce qui était vraiment révolutionnaire, puisque Dieu révélait alors que les autres « dieux » étaient des démons, et qu'il était le seul et vrai Dieu. La maladie qui porte les gens à croire que les démons sont des dieux était identique à toutes les autres formes de cultes organisés, en dehors de celui des Israélites – l'Église qui, bien que de manière anticipée, vénérait le Christ. Donc, le Père Jean utilise le mot « religion » de la manière dont il est très exactement utilisé, selon lui, par le monde moderne ; comme une abstraction, au même titre que les mots « politique » ou « société ». Le Père Jean disait qu'il existe, de par le monde, énormément de personnes religieuses et que toutes sont gouvernées par des illusions de l'esprit en croyant qu'une force démonique est un dieu. Toutefois, l'orthodoxie offre la cure à ce mode de vie maladif et se trouve ainsi être anti-religieuse ! De nombreuses autres implications découlent de ceci, mais, malheureusement nous manquons de temps...
Pourriez-vous nous expliquer très clairement comment le Père Jean liait dans son analyse la politique de Charlemagne et des Francs avec la rupture de cette « cure » en Occident ?
Charlemagne et, en général, toute la culture de la cour franque ont basé leur théologie, principalement, sur les enseignements du Bienheureux Augustin. Du fait qu'Augustin n'a pas enseigné la méthode thérapeutique correcte – c'est-à-dire qu'il n'a pas enseigné l'hésychasme – l'édifice théologique franc fut bâti sur un terrain instable. Par exemple, en 794, au Concile de l'Église franque de Francfort, Charlemagne et ses évêques eurent l'incroyable culot de suggérer que tous les romains de l'Empire d'Orient n'étaient pas des romains mais un ramassis de grecs hérétiques qui avaient abandonnés la vraie théologie chrétienne. Pour les Franks toute théologie qui ignorait leur filioque (une erreur théologique soutenue dans le De Trinitate d'Augustin) était, par définition, hérétique et « non-romaine ». Le Père Jean à fortement argumenté le fait que la « romanité » ou « romeosyne » réside dans l'Église qui continue la thérapie spirituelle du Christ et de Ses Apôtres. Pour lui, et pour moi également, cette Église « romaine » n'est autre que l'Église Une, Catholique et Apostolique, l'Église orthodoxe.
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Éloge funèbre du Père Jean (Romanides) prononcé par le Père Georges (Metallinos), Doyen de la Faculté de Théologie d'Athènes
Au nom du Département de Théologie de l'École de l'Université d'Athènes et de son Président M. Demetrios Gonis, on m'a fait l'honneur d'offrir quelques paroles d'amour, de respect et d'honneur pour l'excellent collègue, qui était en route pour les « hautes sphères ».
Le défunt s'était lui-même révélé ainsi dans une de ses rares présentations de lui-même:
"Mes parents venaient de la ville romaine (*) de Kastropolis d'Arabessus en Cappadoce, berceau de l'empereur romain Maurice (582-602), qui avait nommé saint Grégoire le Grand (590-604) pape de Rome, qui à son tour nomma Augustin premier archevêque de Cantorbéry (597-604).
Je suis né au Pirée le 2 mars 1927. J'ai quitté la Grèce et j'ai émigré en Amérique le 15 mai 1927 (âgé seulement de 72 jours) avec mes parents et j'ai grandi dans la ville de New York, à Manhattan, sur la 46erue, entre la deuxième et la troisième avenue.
Je suis diplômé du Collège grec de Brookline au Massachusetts, de l'École de Théologie de l'Université de La Yale, docteur de l'École de théologie de l'Université nationale Capodistrienne d'Athènes et de l'École de Philosophie de l'Université de Harvard (École des arts et des sciences); Professeur émérite de l'École de Théologie de l'Université Aristote de Thessalonique et professeur invité de l'École théologique de Saint Jean Damascène de l'Université de Balamand au Liban depuis 1970 ".
À ceci, nous ajouterons qu'il a également étudié au Séminaire Russe Saint Vladimir à New York ; à l'Institut théologique Saint-Serge à Paris et à Munich, en Allemagne. Il a été ordonné prêtre en 1951 et, depuis lors, a officié dans différents diocèses des États-Unis d'Amérique. Entre les années 1958 et 1965 il a enseigné comme professeur à l'École théologique de la Sainte Croix, mais a démissionné en 1965, pour protester contre le renvoi du père de George Florovsky de l'École.
Sa nomination au siège de Dogmatique à l'École de Théologie de l'Université de Thessalonique a eu lieu le 12 Juin 1968, mais il n'y a finalement pas été affecté, parce qu'il était accusé d'être "communiste" ! Sa prise de poste a finalement eu lieu en 1970. En 1984, il a démissionné pour des raisons personnelles, a pris une retraite à taux plein, mais il n'a pas été jugé approprié de lui accorder le titre de professeur émérite : chose qui révèle les dysfonctionnements de nos collègues théologiens.
SON ŒUVRE
Il a écrit une pléthore d'études, dont beaucoup sont encore inédites et devraient être publiées ensemble, dans une série de volumes. Ces reliques doivent être préservés, car elles ont beaucoup à offrir et à révéler.
Sa thèse de doctorat sur le Péché Originel qui était un traité littéralement révolutionnaire, a ouvert de nouvelles voies dans notre théologie, elle fut suivie par ses livres tout aussi importanst sur la Romanité, dans le domaine de l'Histoire. Père Jean a relancé la recherche et la compréhension dans ces deux domaines.
Son travail et sa contribution à la science ont été systématiquement analysés dans la thèse de doctorat d'Andrew Sopko, "Prophète de l'Orthodoxie Romaine - la Théologie de Jean Romanides", Canada 1998.
Tout aussi importante est sa participation et sa contribution à notre Église, avec sa participation aux dialogues théologiques, avec les participants hétérodoxes, en particulier les anglicans, mais aussi avec d'autres représentants religieux (judaïsme, islam). Le fait que sa langue maternelle était l'américain (l'anglais) lui a fourni la facilité dont il avait besoin pour exposer avec précision les positions de notre Église. Dans le dialogue avec la Fédération Luthérienne Mondiale (1978), j'ai eu l'occasion de me familiariser avec lui, et de devenir un de ses proches, et, plus important pour moi, de devenir vraiment son élève, au-delà de l'étude approfondie et continue de ses œuvres. Dans ces dialogues, sa vaste connaissance de la tradition patristique est devenue très apparente, avec les falsifications qu'elle avait subies à la fois en Orient et en Occident, et surtout sa connaissance de la théologie de saint Grégoire Palamas, pierre angulaire de la tradition orthodoxe.
Père Jean était partisan de l'association entre la théologie et l'expérience de l'Esprit Saint, et du cheminement par étapes de la catharsis spirituelle, de l'llumination et de la theosis (déification) des saints, comme préalables des Conciles œcuméniques et de leur acceptation sans réserve, chose qui a été écartée en Occident, mais aussi dans notre propre pensée théologique occidentalisante. Ce tournant vers la mentalité patristique comme forme d'authenticité ecclésiastique était la poursuite et l'achèvement du mouvement initié par le père George Florovsky, dont il a poursuivi le cours dans le dialogue œcuménique, lui même devenant une gêne, car il n'était pas facile de converser avec lui. Un jour, tout cela va être mis par écrit, afin que le caractère exceptionnel du défunt apparaisse, avec sa véritable contribution à la présence internationale et œcuménique de l'Orthodoxie, même s'il a souvent été lui-même réservé...
L'avant et l'après Romanides
Lors de l'examen de son opus théologique, éducatif, littéraire et militant, nous sommes naturellement obligés de nous référer à une ère avant Romanides et après Romanides. Parce qu'il introduisit une coupure réelle et une faille dans notre passé scolastique, qui ressemblait à une captivité babylonienne de notre théologie. Sa thèse a résolument scellé ce cours revivaliste, dans la mesure où même ceux qui, pour diverses raisons, le critiquaient ou lui manifestaient leur opposition idéologique, trahissaient dans leurs écrits l'influence du Père Jean dans leur pensée théologique. Plus précisément, le Père Jean :
– a rétabli la priorité de la patristique théologique empirique dans le domaine universitaire de la théologie, écartant la voie intellectuelle méditative-métaphysique de théologisation.
– Il a lié la théologie académique au culte et à la tradition patristique de la Philocalie, prouvant par-là l'interpénétration de la théologie et de la vie spirituelle, et le caractère pastoralo-thérapeutique [ποιμαντικό-θεραπευτικό] de la théologie dogmatique.
– Il a discerné et adopté dans sa méthode théologique le lien étroit entre le dogme et l'histoire, grâce auquel, il a été en mesure de comprendre, comme peu le pouvaient avant lui, l'aliénation et la disparition de la théologie en Europe occidentale, qui est née de l'occupation franque et de sa dictature. En outre, sa connaissance compétente de l'histoire franque et romaine (il était destiné à être professeur d'histoire à Yale), l'a aidé à déterminer et à analyser la différence diamétrale entre les civilisations franque et romaine, avec l'introduction de critères romains pour examiner notre histoire et notre civilisation.
– Il a ainsi également aidé à la recherche exhaustive de l'hellénisme, au-delà des scénarios fabriqués par l'Occident, avec sa position stricte consistant à justifier absolument l'utilisation de nos noms historiques, de leur signification et de leur potentiel dans le cours de notre histoire.
Les hétérodoxes
C'est un fait, que les hétérodoxes ont reconnu – plus que nous – la personnalité du Père Jean et de son importance pour l'Orthodoxie. Il était considéré comme le meilleur chercheur orthodoxe du bienheureux Augustin, qui a même aidé la théologie occidentale à le comprendre, et a été caractérisé comme "assurément le plus grand des théologiens orthodoxes vivants, dont les travaux comprennent une étude critique des travaux d'Augustin à la lumière de la théologie patristique." Et il faut dire, que nous sommes redevables au Père Jean pour son affirmation de poids selon laquelle les enseignements de Barlaam de Calabre sur les expériences de perception de Dieu des prophètes, étant "des phénomènes naturels, qui peuvent être faits et défaits", sont dérivés du Traité sur la Trinité du bienheureux Augustin.
Père Jean respecté et aimé, tes amis, tes collègues, tous expriment notre gratitude, pour tout ce que, par la Grâce de Dieu, tu nous as donné. Comme les milliers d'étudiants, directs ou indirects le font également. Nous nous accrochons au legs théologique que tu nous as laissé, pour qu'il soit notre bâton de marche dans l'obscurité que le calcul, l'ignorance, l'indifférence et le profit ont engendrée. Tu nous as unis avec l'élément patristique dans le domaine de la théologie universitaire, en nous exhortant sans cesse vers le culte et l'exercice ascétique, où la véritable théologie est cultivée. Nous te remercions !
Que ta mémoire soit éternelle, jusques aux temps où nous nous rencontrerons à nouveau à l'autel céleste, mon bien-aimé collègue et commensal dans le ministère.
(Version française Claude Lopez-Ginisty – revue et corrigée – d'après :
http://www.oodegr.com/english/biographies/newteroi/romanidis1.htm )
* Note du traducteur : Par "romaine" le Père Jean entend "grec" !
NDLR : à propos de cette note du traducteur : lorsque le Père Jean emploie le mot « romain », il veut bel et bien dire romain... Pour les « citoyens », chrétiens de langue grecque, de l'Empire romain, qu'ils se trouvassent en Italie, en « Afrique du Nord » ou au « Moyen-Orient » il ne faisait aucun doute que leur seule citoyenneté était romaine ! Et jusqu'à fort récemment les chrétiens d'Asie Mineure ne se nommaient pas et n'étaient pas nommés autrement : « romyosine ». En arabe « roumi »... « Pour l'islam la papauté est toujours latine et franque et les patriarcats de la Nouvelle Rome, d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem sont toujours romains. » (Père Jean, in The Sickness of religion and its cure).
Ce dossier sur le Père Jean Romanides a été réalisé par Thierry Jolif
Commentaires
Il est aberrant de lire que le "filioque" augustinien serait une "erreur théologique" ! La contrelittérature serait-elle devenue hérétique ?
Écrit par : E.G | lundi, 14 janvier 2013
Le dossier sur le Père Jean Romanides a été réalisé par Thierry Jolif, l’un de mes rares amis qui ait vraiment saisi de l’intérieur ce que recelait la notion de « contrelittérature ». Je vous invite d’ailleurs à visiter son site qui vous éclairera sur notre filiation de pensée.
La phase pérénialiste des débuts de mes premières recherches contrelittéraires s’explique par l’influence de penseurs n’ayant eu qu’une connaissance très superficielle de la patristique. En ce qui concerne la deuxième phase « chrétienne » de la contrelittérature, je dois m’appliquer à moi-même cette ignorance de la théologie de Pères.
Mon texte « L’œuvre de ressemblance », paru dernièrement dans l’ouvrage collectif « Du religieux dans l’art », est la reconnaissance de la nécessité pour la « contrelittérature » de s’ouvrir à la radicalité théologique des Pères neptiques dont la « théosis » est le fondement de la vocation humaine. La contrelittérature s’en retourne donc à sa source.
Au sujet de votre question sur « Filioque », vous n’ignorez pas que l’Église catholique romaine a publié en 1995 une « Clarification » pontificale. Sinon, je vous invite à lire le dernier ouvrage du Père dominicain Jean-Michel Garrigues (« le Saint-Esprit, sceau de la Trinité », 2011, Cerf) puisque ce sont les travaux de ce père dominicain qui ont permis l’élaboration de la « Clarification » vaticane.
En son temps, le théologien orthodoxe Olivier Clément s’était enthousiasmé pour les travaux du Père Garrigues. Selon ce dernier, la divergence entre l’Église orthodoxe et l’Église latine sur la question du Filioque ne serait pas une divergence proprement dogmatique, mais tiendrait à un malentendu linguistique dont l’élucidation permettrait de constater que les deux Églises confessent (et ont toujours confessé) deux expressions complémentaires de ce qui est au fond la même foi, autrement dit que la doctrine latine est compatible avec la foi exprimée dans le Symbole professé à Constantinople en 381.
Cependant, la ligne de démarcation entre les deux traditions théologiques ne se situe pas, comme le prétend la « Clarification », à la suite du Père Garrigues, entre la tradition cappadocienne et une supposée tradition latino-alexandrine, mais entre la tradition représentée par l’ensemble des Pères grecs et latins orthodoxes et une tradition représentée par Augustin et ses disciples. C’est bien la triadologie augustinienne qui est visée à travers l’expression qui semble vous avoir scandalisé. Le filioque, ajouté au Credo de Nicée par les Carolingiens et les papes germaniques a-t-il été un contresens théologique, une hérésie ? ou bien au contraire, un progrès rationnel dans la connaissance de la Sainte-Trinité ? Si l’on n’adhère pas benoîtement à la « Clarification », la question demeure et nous devons oser l’affronter.
Écrit par : Alain Santacreu | lundi, 14 janvier 2013
Monsieur le très anonyme E.G : une "erreur théologique" ne constitue pas nécessairement une hérésie. Pour être constituée elle doit être reconnue telle par un concile. Concernant le bienheureux Augustin d'Hippone il s'agit d'une opinion exprimée et je ne sache pas que le "filioque" augustinien d'Augustin puisse être discuté et revu mais, comme le précise justement Alain Santacreu, ce qui en a été fait pour des raisons théologico-politiques certainement ! Dans quelle "hérésie" exactement tomberait donc la Contrelittérature en l'affirmant, elle qui n'a eu de cesse d'opérer dans l'espace de retournement de la talvera un salvateur ressourcement, un désentrelacement acratique des montages théologico-politiques et des mythographies littéraires qui les ont accompagnés ?
Écrit par : Thierry Jolif-Maïkov | samedi, 19 janvier 2013
Le ''Filioque'' est dans la droite ligne du Nom propre de Dieu révélé à MOÏSE au Buisson ardent : YHWH (Ex 3, 15). Nos frères orthodoxes, qui connaissent bien la langue grecque (des Lxx), savent qu'existent deux esprits comme signes de prononciation : le 1er est l'esprit rude, le second est l'esprit doux. Cf. le dictionnaire Grec-français de BAILLY, p. 888.
Écrit par : Jean-Marie MATHIEU | jeudi, 31 janvier 2013
J'attends d'entendre les explications éclairantes sur les raisons de tant de manipulations pour imposer une doctrine qui serait dans la droite (ortho) ligne de la Révélation du Nom du Seigneur de Gloire...
Pour l'heure je continue de donner raison à l'auteur de "La mystification fatale", surtout après mes dernières et récentes "participations" à des messes dans lesquelles il n'est même plus fait mention de l'Esprit lors de la récitation du Credo... J'en suis navré.
Écrit par : Thierry Jolif-Maïkov | jeudi, 04 avril 2013
Le P. Jean ROMANIDÈS écrit en "The cure...", comme on peut le lire plus haut : cette maladie de la religion et le Médecin Qui la guérit : Le Seigneur (YHWH) de gloire." La précision entre parenthèses = (YHWH), c'est-à-dire le Tétragramme, le Nom propre de Dieu révélé à MOÏSE au Buisson ardent en Ex 3, 15 (et non 3, 14 comme le croit le CEC), est-elle du Père ou du traducteur ? L'auteur connaissait-il l'hébreu biblique ? Merci d'avance pour la précision.
Joyeuse marche à l'Étoile vers la crèche de l'Enfant-Dieu.
Écrit par : Jean-Marie MATHIEU | lundi, 22 décembre 2014
La précision (YHWH) est bien du père John lui-même. Il possédait de bonnes notions d'hébreu biblique, oui. Ayant eu à dialogué assez souvent avec des rabbins, il leur exposait ses conceptions à partir des termes de cette langue.
Écrit par : Thierry Jolif | mercredi, 24 décembre 2014
I hope Thierry can translate this comment into French, since I am more comfortable speaking in my native English: The problem with the "filioque" is that it implies many confusions of theology beyond the bounds of triadology. Do we mean by "filioque" that the Spirit proceeds economically from the Father, through the Son? This has been proposed as a bridge interpretation between East and West. But this does not work unless Roman Catholics accept the distinction between energies and essence as understood by the Eastern Fathers. Also, Thomistic categories preclude the Orthodox understanding of triadology, and as one Pope proclaimed in an encyclical, one cannot be Catholic and fail to accept the teachings of Thomas Aquinas. My comments do not answer the question at hand, but I hope to indicate some of the difficulties involved. God bless you all in your search for Christ, and may we in America receive your prayers!
Écrit par : James L. Kelley | lundi, 28 août 2017