Dansez le Nom divin ! (jeudi, 25 décembre 2014)

 

L'époustouflante chorégraphie éternelle

                                                                                              
                                                                      à  Jean-Michel  Lotte, osb.
 

 

Schama A.jpg

Fig. A : Schéma

 

 

                                                       « Je sais, mon fils, je sais... »

                                                                                        Gn 48, 19

 

  Avant la déroberie de « la clef de la gnose », la dernière des vingt-deux lettres de l'alephbeth hébreu, le ת thaw, sous sa forme archaïque en forme de croix : grecque + ou décussée × , dite aussi croix de saint André, servait à symboliser le Nom propre de Dieu, le Tétragramme, c'est-à-dire les quatre « grammes » ou quatre lettres hébraïques יהוה , soit YHWH en caractères romains, signifiant « Il est », Nom révélé à Moïse au Buisson ardent. La Tradition chrétienne a hérité de ce symbolisme comme l'Église nous l'a transmis grâce au « signe de croix » que doit tracer sur lui tout baptisé au début de chaque prière : la main droite se porte d'abord sur le front « Au Nom du Père », puis sur le nombril « et du Fils », enfin sur les deux épaules « et du Saint-Esprit » ; ce dernier geste étant fait en sens opposé par Romains (épaule gauche d'abord) et Orthodoxes (épaule droite d'abord) afin de manifester l'unité et la spiration duelle de la troisième Personne, qui ex Patre Filioque procedit « qui procède du Père et du Fils ». Les « deux poumons » de l'Église indivise devront re-spirer, un jour, de concert... C'est la signification de mon  schéma (Fig. A) dans lequel sont disposées, tout en haut la lettre hébraïque violette י yod, Y symbole du Père « qui est aux cieux », en bas la lettre jaune ו  waw, W symbole du Fils « qui descendit du ciel », enfin à gauche et à droite les verte et rouge, les deux הה , H H symbole du Saint-Esprit « qui a parlé par les prophètes » de l'Ancienne Alliance et qui fut donné à la Pentecôte lors de la Nouvelle Alliance. Soit en clair :

                                                    י     yod       Y  : Père

                                                    ה    hé         H : Esprit du Père

                                                    ו   waw       W : Fils

                                                    ה             H : Esprit du Fils

  La lettre hébraïque de couleur pourpre : ש shin, Sh, épanouie au cœur de la croisée tétragrammique, veut symboliser la nature humaine que le Fils Dieu revêtira lors de sa venue sur terre grâce au « Fiat ! » de la Vierge de Nazareth. La chair est ainsi devenue le pivot du salut, caro salutis cardo.

    L'ensemble déroule donc le Nom de gloire  יהשוה   Y H Sh W H.

   Le Dieu Un et Trine exécute éternellement une ronde, une périchorèse, une chorégraphie époustouflante toute d'Amour : le Père est Amour, le Fils est Amour et de même le Saint-Esprit est Amour ! Il faut ici insister et dire que, dans notre langage humain forcément limité, le mot « Amour » désigne d'abord et avant tout l'être même du Dieu trine. Cependant, en suivant l'accommodation du langage propre aux théologiens, nous pouvons dire que le mot « Amour » désigne la personne même du Saint-Esprit, qui est le Lien d'amour personnel en tant qu'Esprit du Père et du Fils. Les lettres du Nom divin YHWH peuvent s'approprier symboliquement aux trois Hypostases, aux trois Personnes divines, en gardant bien en tête que ces Personnes sont des relations consubstantielles. Le Père aime le Fils (Y-W), le Fils aime le Père (W-Y) dans l'amour mutuel de l'Esprit Saint (H-H), qui est l'Amour procédant du Père et du Fils. Le double HH spirituel ne suggère nullement qu'il y aurait deux « esprits », mais signifie cette procession duelle de l'Esprit du Père et (de l'Esprit) du Fils. Ajoutons ces deux précisions : par sa génération,  le Fils reçoit du Père d'être avec lui le principe du Saint-Esprit, ce qui ne remet donc pas en cause la Monarchie paternelle ; et l’Esprit procède du Père et du Fils « comme d’un seul Principe par une seule Spiration ». Oh ! je sais, ami lecteur, je sais : le pauvre vocabulaire des hommes est inapte à rendre les profondeurs insondables, les hauteurs vertigineuses du mystère de la Trinité Sainte ! Mais il nous permet cependant d'entr'apercevoir quelque lueur admirable... Si YHWH a voulu nous révéler son Nom propre (non pas en grec, ni en latin, mais en hébreu biblique), ce n'est certes pas pour que nous en fassions fi.

  C'est la Trinité indivise qui a créé le monde, l'a sauvé et le sanctifie spirituellement. Depuis toute éternité, Dieu nous a aimés, nous a prédestinés en son Fils. Et dans la pensée du Père, la Vierge Immaculée fut choisie entre toutes les femmes pour donner corps au Fils monogène quand furent venus les temps fixés dès avant les siècles.

  Mais suivons, sur le schéma, les lettres romaines A à D dans le sens lévogyre contraire à celui des aiguilles d'une montre (quand magiciens et sorciers tournent en sens dextrogyre), mouvement sacré qu'exécute le prêtre lorsqu'il encense le Crucifix et l'autel : une première fois, au début de  la Messe solennelle, et une seconde fois lors de  la préparation des oblats à l'Offertoire. Tout part du Père, Y violet, jusqu'à l'Esprit du Père, H vert (je rappelle qu'en hébreu le mot רוח  rouaḥ « vent, Esprit », est le plus souvent employé au féminin : « l’Esprit bonne ») :

A : Dieu créa les cieux et הארץ  ha-᾿arèts « la terre », ce lieu prédestiné dès l'origine de la création afin que s'y déroulent l'œuvre de Rédemption et celle de sanctification.

B : « La poussière de la  ̓ademah »,  עפר מן־האדמה , de « la terre vierge » rendue féconde par la vertu et la puissance de l'Esprit Saint, « qui est Seigneur et qui donne la vie », servit de Materia prima pour la création du premier homme, l'Adam, type du second à venir.

  Et depuis le Fils, W jaune, jusqu'à l'Esprit du Fils, H rouge, avant de faire retour au Père :

C : Du « côté de l'Adam »,  הצלע  מן־האדם , Dieu « bâtit » la première femme, pure et gracieuse et immaculée, appelée Ève, nom hébreu signifiant  la « Vivante », figure de l'Ève future.

D : Ô Ève pécheresse privée des dons préternaturels et disgrâciée ! Ô mère  ensevelie hors du premier jardin ! Tu es mère de toute l'humanité dès lors entachée par le péché originel.

  Dorénavant, la chorégraphie trinitaire nous entraîne dans une nouvelle ronde éternelle, toujours de sens lévogyre et en regard de la précédente, suivant les chiffres romains de I à IV, mais plus ample, plus spirituelle, encore plus époustouflante :

I : Choisie depuis toute éternité, la Vierge de Sion, le verus Israel, la Fille de prédilection du Père, est l'Épouse gardant pour Dieu seul sa virginité. Immaculée Conception, la Vierge fut dans les mains de Dieu  pétrie en forme d'une nouvelle créature, en forme de l' « exemplaire » divin qui, hors du temps, est la Femme « conçue » en l'Esprit de Dieu.

II : Marie est la  toute Sainte, la « Terre vierge » rendue féconde grâce à la puissance et à la vertu du Saint-Esprit. D'elle naîtra le Fils, le W, nouvel Adam conçu du même Esprit Saint, qui conceptus est de Spiritu Sancto. Elle est la Théotokos, Mère de Dieu. « Alma Redemptoris Mater, Auguste Mère du Sauveur, Tu as enfanté, ô merveille, Celui qui t'a créée ! »

III : La Vierge Marie, nouvelle Ève sortie du côté du Christ en croix, est la première-née par grâce, la « Femme » sans tache, l'Épouse associée à l'œuvre de rédemption de son Époux divin, l'Agneau debout, comme égorgé.

IV : Notre Dame, la « Mère de l'Église », vit désormais glorieuse de corps et d'âme au Ciel : assumpta est Maria. Elle nous enfante à la vie éternelle et intercède pour nous, puisqu'elle est Avocate, Corédemptrice, Médiatrice de toutes grâces.

  Je vous invite à regarder de plus près le chiasme, c'est-à-dire le croisement, repérable entre l'Esprit du Père, lettreH verte, et l'Esprit du Fils, lettre H rouge :

                                   I    Épouse de Dieu                IV   Mère de l'Église

                       H                                              χ                                                    H

                                  II   Mère du Fils                     III   Épouse de l'Agneau  

  I---III : La Conception Immaculée de Marie, dans le sein stérile d'Anne sa mère, est en vue, en raison, en prévision, par anticipation des mérites de la Passion, car c'est du côté de Jésus en croix que sort la nouvelle Ève, la Femme virginale, l'Épouse de l'Agneau associée spirituellement à l'Œuvre de rédemption. Le Christ, qui renouvelle sans cesse notre filiation céleste – nous sommes en effet « fils dans le Fils » –, peut être appelé, dans l'ordre de la nature ainsi que de la grâce, notre Père véritable. Isaïe avait d'ailleurs annoncé, paradoxalement, ce Fils « Père éternel », avertissant d'avance les inattentifs par sa prophétie tétragram- mique : « Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné ; la souveraineté repose sur son épaule, et il se nomme :

                                                 Y :   Conseiller merveilleux,

                                                 H :   Dieu fort,

                                                 W :   Père éternel,

                                                 H :   Prince de la paix. » 

Et l'Évangile johannique, comme en point d'orgue, précise qu'après la Résurrection, « au lever du jour, Jésus parut sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que  c'était lui. Jésus leur dit : ''Enfants [ Παιδία, Païdia], n'avez-vous rien à manger ?'' » 

  II---IV : La génération virginale du Fils incarné appelle notre régénération spirituelle par la Mère de l'Église ; nous somme ses « fils ». La Vierge Mère donna aux hommes son Fils Dieu, et c'est par Notre Dame que l'humanité tout entière peut avoir accès au Christ présent dans son Église. La Vierge Marie est ainsi la « figure » parfaite de l'Ekklêsia. « Salve ! Regina ! Nobis post hoc exilium ostende, Salut ! Reine ! après cet exil, fais-nous voir Jésus, le fruit béni de tes entrailles. » À l'exitus succédera le reditus, le retourvers la demeure éternelle du Père.

   Chacun aura pu noter l'importance des liens  spirituels noués dans l'ordre de l'Esprit, en HH, symbole de la troisième Personne de la Trinité « qui procède du Père et du Fils ». L'Esprit Saint est, dans le Père et le Fils, l'Amour concevant en Personne, c'est-à-dire Conception même de l'Amour. Il pourrait ainsi être appelé « l'Amour divin maternel », l' « Immaculée Conception incréée », de nature divine ; la Vierge Marie, Elle, préservée de toute atteinte du péché, étant l'Immaculée Conception créée, de nature humaine, notre sœur en humanité, Première-née par grâce du Premier-né per se, dont nous sommes les puînés. À Lourdes, en 1858, dans le creux du rocher la blanche Colombe confia mystérieusement à Bernadette la pauvrette bien souveraine, en bel occitan : « que soy era Immaculada Councepciou.» C'était un jeudi 25 mars, fête de l'Annonciation, rappel de ce jour d'entre les jours où l'ange Gabriel avec courtoisie salua  la Vierge à Nazareth : « Comblée de grâce, chef-d'œuvre de la grâce ! » 

                                                                          *

 Essayant de mettre en lumière ce qui est implicite, latent, encore caché dans la Vérité annoncée par la Tradition, les Saintes Écritures et les textes du Magistère, j'ai toujours eu à cœur de jouer de mon calame selon « l'analogie de la foi ou règle de la foi », méthode théologique permettant de vérifier si une doctrine fait vraiment partie de la Révélation divine, si elle s'insère harmonieusement dans le corpus formé par l'ensemble des autres vérités révélées déjà connues, déjà explicitées. Le schéma tout en haut permet une vue synthétique de la théologie mariale comprise dans la théologie trinitaire, dans celle de la création, au cœur de l'économie du Salut. Ce qui souligne la parfaite et profonde cohérence de la Révélation, ainsi que la manière dont cette dernière peut être ouverte par la « clef de la gnose », Ô clavis David !, par le Nom de gloire de Jésus ressuscité  – Celui qui ouvre et nul ne fermera, qui ferme et nul n’ouvrira ! –, ce « Nom » pour lequel les apôtres se sont mis en route, dans lequel ils ont baptisé, ce « Nom nouveau » que le Seigneur de la gloire fait connaître selon son  רצון ratsôn, selon son « bon plaisir » :    יהשוה   Y H Sh W H.  

    Il est encore nombre de perles, quantité de trésors à mettre au jour dans le champ du Père. Conscient que je ne peux – à prendre dans les divers sens du verbe « pouvoir » – tout dire, je laisse  volontiers à d'autres la liesse et la joliesse des futures découvertes. Voilà. Tel un berger, tant bien que mal de la flûte j'ai joué. Avez-vous dansé ?                          

                                                                         Jean-Marie Mathieu

 

 

Bibliographie :

LOTTE Christian (abbé), Marie dans la nouvelle création. Essai newmanien sur l'Immaculée Conception, Perpignan, Éd. Artège, 2013. Pour mon article, je me suis inspiré essentiellement de cet ouvrage étincelant, que je conseille à tous et à toutes de lire et de méditer. L'auteur y montre l'actualité de la pensée du cardinal Newman (1801-1890), anglican converti au catholicisme suite à sa lecture des Pères grecs et latins, béatifié en 2010, probablement déclaré bientôt docteur de l'Église, qui touche notre cœur et illumine tout esprit.

 

À lire dans la rubrique "Commentaires", une mise au point d'Alain Santacreu.

                                                                                       

 

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