Artaud-Daumal (jeudi, 11 janvier 2018)
Une rencontre fatidique pour le théâtre
Alain Santacreu
Il y eut une période, entre 1930 et 1935, où Artaud et Daumal furent très proches ; puis, Artaud partit vers les Tarahumaras, alors que Daumal s’engageait plus en avant sur la voie de Gurdjieff, ainsi s’éloignèrent-ils à jamais l’un de l’autre.
En réalité, aucune correspondance n’atteste cette proximité, contrairement à la relation épistolaire qu’entretenaient à la même époque Antonin Artaud et André Rolland de Renéville, autre figure importante du Grand Jeu avec Roger Gilbert-Lecomte. Toutefois, leur « convergence temporaire » (1) devient évidente, si l’on considère le rôle médiateur joué par deux personnages : Alexandre de Salzmann et Jean Paulhan.
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Deux anecdotes illustrent leur rencontre respective avec Alexandre de Salzmann. Celle de Daumal est rapportée de façon plaisante par Georgette Camille, à l’époque la compagne d’André Rolland de Renéville : « Je me trouvais avec eux [les membres du Grand Jeu] un jour à la fin de 1929 ou au début de 1930, à la terrasse du Figon, un café-restaurant du boulevard Saint-Germain, non loin de la rue des Saints-Pères, quand quelqu’un nous a parlé, c’était Alexandre de Salzmann. Il s’exprimait avec un accent russe et il nous a dit : "Je veux savoir qui vous êtes. Vous allez tenir votre bras levé le plus longtemps possible, sans le poser". Au bout d’un moment Daumal est resté seul avec le bras tendu et Salzmann lui a dit : "Vous m’intéressez !" Nous ignorions alors que Salzmann était lié à Gurdjieff. Personne ne parlait de Gurdjieff. » (2)
Artaud, quant à lui, avait connu Salzmann quelques années plus tôt, en 1925. Peintre et dessinateur, Alexandre de Salzmann avait bouleversé la technique d’éclairage au théâtre. Il travaillait alors au Théâtre des Champs-Élysées. Dans une de ses conférences mexicaines, « Le Théâtre d’après-guerre à Paris », Artaud a évoqué cette « terrible nuit de février » où il le rencontra : « En 1925, année qui semble avoir été fatidique pour le théâtre et d’où tout un monde surgira, apparut un homme mystérieux qui habitait dans des chambres sans meubles et qu’on appela par la suite "le derviche" parce qu’il prétendait avoir passé plusieurs années de sa vie parmi les derviches du Caucase. » C’était Alexandre de Salzmann. (3) Artaud l’interpella un soir dans un café pour le féliciter de l’éclairage du Pelléas et Mélisande mis en scène par Copeau : « Et durant plus de trois heures, en marchant de la place de l’Alma à la Gare Saint-Lazare, nous avons passé ensemble à parler une terrible nuit de février... » Artaud parle à Salzmann d’une langue perdue et qui, dit-il, pourrait se retrouver par le théâtre. Salzmann lui répond que « la poésie, la poésie véritable, et non pas la poésie des poètes, garde le secret de cette langue, et que certaines danses sacrées s’approchent plus du secret de cette poésie que n’importe quelle langue. » (4) On voit qu’à la relation autoritaire, de maître à disciple, qu’impose d’emblée Salzmann à Daumal s’oppose la relation dialogique, presque confraternelle qui s’instaure entre Artaud et Salzmann. Mais l’intérêt n’est pas là. Il réside dans l’orientation vers une tradition dans la quête parallèle de Daumal et d’Artaud. Sans doute René Guénon leur avait déjà fait découvrir la métaphysique orientale – Daumal lui consacre une note élogieuse, en 1929, dans le n° 2 du Grand Jeu : « Encore sur les livres de René Guénon ». Quant à Artaud, dans sa conférence de 1931 sur « La Mise en scène et la métaphysique », il se réfère à Guénon et projette même d’écrire un ouvrage sur lui : « Je veux faire pour la NRF un essai important sur René Guénon », confiait-il à Paulhan (5) – Salzmann leur confirma la voie opérative du travail sur soi, ce que Gilbert-Lecomte nommait une « métaphysique expérimentale » (6). Cette voie de la danse sacrée, Artaud la reconnaîtra dans le théâtre balinais et Daumal dans le danseur hindou Uday Shankar. Pour Marcello Gallucci, ce fut leur rencontre avec Alexandre de Salzmann qui rapprocha Antonin Artaud et René Daumal.(7)
Une lettre, restée sans doute à l’état d’ébauche, d’Artaud à Daumal, datée du 31 juillet 1931, témoigne de cette proximité intellectuelle. Elle est curieusement chapeautée d’un titre, « Déclaration », que viennent justifier les premiers mots : « Vous êtes d’accord avec moi-même pour penser que cette sorte de déclaration manifeste que nous devons rédiger d’un commun accord pour expliciter les buts du théâtre que je veux faire doit rouler sur des objets absolument concrets. » (8)
Artaud aurait donc projeté, à un moment donné, d’écrire un Manifeste sur le théâtre en collaboration avec Daumal. Cela ne se fit pas. Artaud travaille alors sur son article « Le théâtre balinais, à l’Exposition coloniale » (9) et songe déjà à son premier Manifeste du Théâtre de la Cruauté qui paraîtra un an plus tard dans la NRF (10). Au même moment, Daumal commence sa traduction du Nâtya-Çâstra de Bharata, le plus ancien traité d’art dramatique hindou qu’il définit ainsi : « Nâtya signifie d’abord danse et représentation mimée, mais le théâtre hindou dès l’origine est l’art total : il est danse, mimique, musique, chant, poésie, architecture, mise en scène et peinture ; en toutes ces matières, le Nâtya- Çâstra est la première autorité, parce qu’il est un savoir traditionnel. » (11) Cette conception du théâtre est partagée par Artaud qui, lors de sa conférence du 31 décembre 1931, « La Mise en scène et la Métaphysique », a déclaré : « Une des raisons de l’efficacité physique sur l’esprit, de la force d’action directe et imagée de certaines réalisations du théâtre oriental comme celles du Théâtre balinais, est que ce théâtre s’appuie sur des traditions millénaires, qu’il a conservé intacts les secrets d’utilisation des gestes, des intonations, de l’harmonie, par rapport aux sens et sur tous les plans possibles. »
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C’est ici qu’intervient Jean Paulhan dans la relation Artaud-Daumal. Directeur de la NRF, aidé par André Rolland de Renéville, il essaie de rapprocher Artaud et Daumal contre l’avant-garde surréaliste enfermée, selon lui, dans son soutien au communisme stalinien – alors que, dans ces années-là, Paulhan fréquente les milieux anarchistes. Paulhan veut s’entourer de ces figures marginales de l’avant-garde pour les engager dans une exploration commune et radicale de l’expérience poétique.
Dans une lettre, du 6 mai 1932, Paulhan fait cette proposition à Daumal : « J’avais songé à une journée que nous pourrions passer ensemble, Artaud, Renéville, vous et moi, où chacun devrait dire ce qu’il sait de la vérité (et ce qui s’ensuit à ses yeux). Est-ce possible, le voudriez-vous ? » Daumal accepte avec enthousiasme et le groupe se réunit le lundi 20 mai à Châtenay, chez Paulhan. (12) Pourquoi cette invitation exclusive et singulière ? Paulhan a pressenti en eux la possibilité d’une communauté d’esprit, une nouvelle actualisation « rhétorique » qu’il souhaite opposer à la « terreur » de l’avant-garde des lettres (13). De cette terreur, Artaud a déjà été victime puisque Breton l’a exclu du mouvement surréaliste, en 1926, pour sa critique du marxisme-léninisme. Paulhan, qui travaille depuis quelques années à ses Fleurs de Tarbes, devine que l’« affaire Aragon » va faire imploser le groupe du Grand Jeu et il tente alors de susciter, autour de la NRF, une autre avant-garde qui concilierait tradition et révolution.
Cette tentative sera un échec. Une lettre de Paulhan à Renéville laisse poindre certains motifs de dissension : « Nous ne reconnaissons dans l’ordre de la pensée aucune autorité à qui nous fier sans réserves. Quelle que soit la place que tiennent, dans les préoccupations de chacun d’entre nous, l’œuvre de Marx, de Guénon, de Freud, de Spinoza ou de la philosophie hindoue, ce n’est qu’à titre de matériaux que nous les acceptons – nous tenant également libres sur tel point de les suivre ou de les repousser. » ( 14) Autrement dit : si Guénon ou la philosophie hindoue ne sont que des matériaux pour la recherche de la vérité, la tradition qu’ils transmettent ne doit pas être acceptée comme la vérité. Aucune croyance n’ouvre la voie vers la vérité, tout Casse-Dogme (15) peut devenir le masque d’une illusion. Paulhan et Artaud reprocheront leur « légèreté » à Daumal et Renéville et il ne semble pas qu’il y ait eu par la suite d’autres réunions jusqu’au départ de Daumal pour l’Amérique.
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Ce voyage de Daumal aux États-Unis, de décembre 1932 à avril 1933, comme impresario de la troupe d’Uday Shankar, interrompt de fait sa relation avec Artaud. Il ne se reverront plus. À son retour en France, Daumal se séparera définitivement de ses amis du Grand Jeu pour se plonger dans l’enseignement gurdjieffien des « mouvements » dispensés par Madame de Salzmann. Toutefois, tenu informé par Renéville, il continue de suivre le travail théâtral d’Artaud et il en rendra compte dans deux articles peu connus.
Le premier, « Lettre de Paris », écrit en février 1934, est une chronique destinée au magazine littéraire new-yorkais Hound and Horn. Daumal, qui vient d’assister à un spectacle donné par les élèves de Jaques-Dalcroze, rappelle l’expérience artistique et sociale d’Hellerau, avant la Grande Guerre, dans laquelle Salzmann avait joué un rôle essentiel auprès d’Émile Jaques-Dalcroze et d’Aldolphe Appia (16). Hellereau, insiste-t-il, a préparé la naissance d’un art théâtral rendu à son sens et à son but sacré. Et Daumal en vient à parler incidemment d’Artaud : « À l’heure où les gens parlent, à tort ou à raison, d’une situation internationale aussi tragique qu’en 1914, ces tentatives interrompues par la guerre viennent, par les voies singulières d’un prétendu hazard, occuper mon esprit. Depuis quelques mois, Antonin Artaud essaie de réaliser à Paris son Théâtre de la Cruauté : son programme, au moins théoriquement est aussi de restaurer le vieux drame total, jeu visible des réalités cosmiques incarnées dans les hommes, table rase faite de toutes nos prétendues traditions théâtrales et de toutes nos prétendues innovations, qui ne font qu’accentuer le rôle bassement esthétique, spectaculaire et divertissant, du théâtre. Pratiquement, je ne sais s’il a assez d’argent ni surtout s’il a, par lui ou par d’autres, l’expérience et la difficile connaissance nécessaires à une telle oeuvre. » (17)
La dernière phrase de cette citation témoigne du scepticisme de Daumal : Artaud, pour réussir dans son entreprise, aurait dû, laisse-t-il entendre, s’inspirer de l’expérience d’Hellereau et de la tradition du théâtre sacré dont Salzmann avait été le transmetteur.
L’année suivante, en 1935, paraît un deuxième article, « Coups de théâtre », où Daumal chronique Les Cenci d’Antonin Artaud. (18)
La critique de la pièce est précédée d’un long développement où Daumal explicite ce qu’est le théâtre dans la tradition dramaturgique sacrée : « Les Hindous disent que le but du théâtre est de faire goûter – c’est-à-dire connaître au sens le plus intime – un état de l’être ; et, ajoutent-ils, lorsque l’acteur a réalisé, avec chaque vibration sa substance, le personnage qu’il joue, alors il devient à lui-même son propre spectateur ; et le spectateur, en retour, s’identifiant avec ce personnage, devient acteur lui-même. Connaissance et communion, c’est cela qu’était d’abord le théâtre. » Est-ce que Les Cenci appartiennent à une telle tradition ? Daumal ne le pense pas : « Par rapport au vrai théâtre, Les Cenci n’est peut-être encore qu’une interrogation passionnée, le défi presque fou porté à l’apathie du public par un homme qui n’est encore armé que de son idée. »
Daumal critique aussi le jeu des acteurs : ils se meuvent selon une mécanique extérieure à la pièce, ils reproduisent les gestes sans les créer. Seule l’interprétation d’Artaud est franchement louée : « Artaud lui-même jouait avec sa tension quotidienne, et l’unité n’était sauvegardée que dans la mesure où il déteignait sur ses partenaires. » Les autre facteurs d’unité du spectacle sont le décor de Balthus et l’éclairage dont la fonction rappelle évidemment les conceptions de Salzmann – qui sera d’ailleurs cité de façon explicite plus loin à propos du spectacle de Barrault. Daumal a-t-il aimé la pièce d’Artaud ? Sa conclusion reste sybilline : « Pour finir, je ne vous dirai pas ce que je pense des Cenci : je vous ai donné une idée de ce que c’est. C’est peut-être le cri de réveil furieux du théâtre. »
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Artaud a répondu rétrospectivement et d’une façon indirecte à Daumal depuis le Mexique. Il est allé chercher à l’Ouest la réponse à la question du théâtre que Daumal pensait avoir trouvée en Orient. La réponse d’Artaud à Daumal se laisse entendre plus précisément dans deux conférences mexicaines, « L’homme contre le destin » et « Le théâtre et les dieux ». (19)
Dans la première conférence, Artaud dénonce l’erreur marxiste qui a détourné le surréalisme de sa vocation magique de la vie : « Pour moi, à le considérer dans son essence, le surréalisme a été une revendication de la vie contre toutes ses caricatures, et la révolution inventée par Marx est une caricature de la vie. J’ai estimé que cette faim d’une vie pure que le surréalisme au début a été n’avait rien à voir avec le vie fragmentaire du marxisme. » (20)
La question sur la vérité posée par Paulhan lors de la réunion de Châtenay était aussi une question sur la vérité politique. Et la « légèreté » que Paulhan et Artaud reprochèrent par la suite à Daumal et Renéville visait aussi leurs concessions aux prises de position marxistes du surréalisme.
Artaud réaffirme, dans sa conférence, la nécessité de cette « vérité humaine sans tromperie » qui était à la base du projet de Paulhan : « Elle [la jeunesse française] accuse dans le matérialisme historique la naissance d’une idolâtrie, et cette idolâtrie comme toute idolâtrie est religieuse, religieuse parce qu’elle introduit une mystique dans l’esprit. La jeunesse française ne veut pas de mystique, elle est pour qu’on cesse d’halluciner l’esprit ; elle a faim d’une vérité humaine, et humaine sans tromperie. » (21).
La « Réponse à Breton » qu’André Rolland de Renéville, avait publiée dans la NRF en juillet 1932, quelques jours à peine après la réunion de Châtenay, fut rédigée selon les conseils avisés de Daumal. (22). Renéville y nuançait sa critique et acquiesçait aux positions du Second Manifeste de Breton, en distinguant clairement matérialisme dialectique et matérialisme primaire. Ainsi, Daumal, avec Renéville, essaya de jouer sur les deux tableaux, ne choisissant pas vraiment entre Paulhan et Breton, dans l’espoir sans doute de préserver l’existence du Grand Jeu, mais ses tergiversations finirent par exaspérer Paulhan et Artaud. La question politique – l’hégéliano-marxisme de Daumal – contribua à leur incompréhension et à l’échec du projet.
Dès son arrivée au Mexique, comme il le fait avec « Le théâtre et les dieux », Artaud propose des conférences pour présenter sa conception du théâtre et de la culture : « Contrairement à cette idée enseignée dans les écoles que le théâtre est issu des religions, nous chercherons à montrer, au moyen d’exemples, que c’est la religion qui est née des rites antiques et primitifs du théâtre. Dans un théâtre ainsi conçu, l’homme ne se trouvait pas séparé de la nature, et les soi-disant dieux étaient les forces naturelles subtiles que l’homme moderne peut encore capter. » (23) Artaud opère un renversement de la perspective théâtrale qui le libère de l’idée de Tradition. Le théâtre ritualisé, tel que le prônait Daumal, demeurait un théâtre de la représentation, Artaud veut émanciper le théâtre de toute mimesis. La cruauté se joue sur un autre plan que la ritualité : l’espace de la vie. La fonction du théâtre n’est pas de représenter la vie mais de la manifester : « Cette idée de la vie est magique, elle suppose la présence d’un feu dans toutes les manifestations de la pensée humaine ; et cette image de la pensée qui prend feu, il nous semble à tous aujourd’hui qu’elle est contenue dans le théâtre ; et nous croyons que le théâtre n’est fait que pour la manifester. » (24)
La cruauté, terme qu’Artaud utilise « dans un sens large » (25), désigne le réseau des forces à l’oeuvre dans le cosmos et leurs répercussions sur le microcosme humain. Ces forces sont des dieux qui, lorsque l’acteur les capte, lui permettent de comprendre la formation de la vie : « C’est dire, sans littérature, que ces dieux ne sont pas nés du hasard, mais ils sont dans la vie comme dans un théâtre, et ils occupent les quatre coins de la conscience de l’Homme où nichent le son, le geste, la parole et le souffle qui crache la vie. » (26)
La traversée de la Sierra Tarahumara est une mise en espace du Théâtre de la cruauté dans le corps d’Artaud. En cela, le voyage au Mexique marque la rupture avec le théâtre daumalien de la Tradition, jusqu’en ses racines religieuses. La catharsis artaudienne ne sera pas communielle mais cruelle. Pensée sans corps, il ne peut y en avoir mais uniquement un corps sans pensée. La pensée doit prendre feu pour qu’advienne la matière de l’esprit dans le corps vide d’Artaud.
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Au Mexique, Artaud a reconnu dans les Tarahumaras la « race principe » : un peuple qui ne croit pas en Dieu. Cet athéisme radical désigne pour lui la fonction du théâtre vrai, qui n’est pas de communier, comme Daumal a pu le dire – car, pour communier, il faut croire, partager une croyance commune – mais de faire resurgir dans l’espace une connaissance sans croyance.
Jusqu’à son départ pour le Mexique, Daumal interpréta le travail théâtral d’Artaud à l’aune des thèses de Salzmann. Pour Daumal, la communion entre l’acteur et le spectateur correspondait à leur travail dialogique vers la vérité. Pour Artaud, le théâtre est la possibilité d’une réorientation anthropologique de la connaissance où l’homme retrouverait les racines magiques de la vie.
Fatidique rencontre pour le théâtre que celle d’Artaud et Daumal. De ces deux conceptions du théâtre dont ils étaient porteurs, la lignée d’Alexandre de Salzmann est la seule qui semble s’être perpétuée au cours de la seconde moitié du vingtième siècle, à travers les Jerzy Grotowsky, Eugenio Barba, Peter Brook et quelques autres. Le théâtre d’Artaud demeure vivant dans l’éternité de son corps mais – n’en déplaise à tous ceux qui se proclament ses héritiers – il n’est pas encore venu au monde.
NOTES
(1) Je reprends ici le titre d’un article d’Alain et Odette Virmaux dont je me suis inspiré : « Une convergence temporaire avec Artaud », Dossier H « René Daumal », L’Âge d’Homme, 1993, pp. 222-229.
(2) « Entretien avec Georgette Camille », René Daumal, « Les dossiers H », L’Âge d’Homme, 1993, pp. 234-235.
(3) Sur l’influence de Salzmann dans le théâtre du XXe siècle, voir René Daumal et l’enseignement de Gurdjieff, le bois d’Orion, 2015.
(4) Antonin Artaud, « Le Théâtre d’après-guerre à Paris », Messages révolutionnaires, Gallimard, Folio/essais, 1971, pp. 51-71.
(5) Lettre à Jean Paulhan du 26 janvier 1932, OC, V, p. 59.
(6) Roger Gilbert-Lecomte, « L’horrible révélation, la seule », Le Grand Jeu, n°3, automne 1930.
(7) Voir Marcello Gallucci, « Théâtre et technologie de soi : Artaud et Daumal », dans René Daumal ou le perpétuel incandescent, le bois d’Orion, 2008, pp. 119-136).
(8) OC III, p. 214.
(9) Cet article, qui constituera la première partie de « Sur le théâtre balinais » intégré dans Le Théâtre et son Double, fut publié dans la NRF du 1er octobre 1931 (n° 217) mais il fut rédigé au début du mois d’août 1931. Le manuscrit, recopié par Artaud, porte la date « Mardi-mercredi, 11-12 août 1931 ».
(10) n° 229 du 1er octobre 1932.
(11) René Daumal, Introduction à « L’Origine du Théâtre de Bharata », dans Bharata, Paris Gallimard, 1970, p. 13.
(12) Sur cette rencontre à Châtenay, voir l’article d’Olivier Penot-Lacassagne, « Langage et Vérité », Le Grand Jeu en mouvement, L’Âge d’Homme, 2006, pp. 67-79.
(13) Dans son essai Les Fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les lettres, Paulhan considère que la littérature est issue d’un antagonisme entre les notions de « terreur » et de « rhétorique ». Il ne s’agit pas pour lui de résoudre cet antagonisme par l’exclusion terroriste de l’un des termes ni même par la synthèse hégélienne mais par une dialectique de l’équilibre qu’il nomme « maintenance » car elle maintient le dynamisme antagoniste.
(14) Jean Paulhan, Choix de lettres, 1917-1936, lettre à André Rolland de Renéville du 28 juin 1932, pp. 255-256.
(15) René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte, « Mise au point ou Casse-Dogme », Le Grand Jeu, n°2, 1929.
(16) Sur Hellereau, lire : Basarab Nicolescu, « Alexandre de Salzmann, un continent inexploré », René Daumal et l’enseignement de Gurdjieff, op. cit, pp. 83-122.
(17) René Daumal, « Lettre de Paris », L’évidence absurde, Gallimard, 1972, pp. 263-269.
(18) Ce texte de Daumal sur Antonin Artaud, publié en 1935, dans le n°2 de la revue Écrits du Nord, était pratiquement passé inaperçu jusqu’à ce qu’il soit reproduit dans Artaud vivant, d’Odette et Alain Virmaux, Néo, 1980, pp. 197-203. En vérité, ce texte ne porte pas uniquement sur Les Cenci. Il est intitulé « Coups de théâtre », au pluriel, car il propose aussi une critique élogieuse d’Autour d’une mère de Jean-Louis Barrault.
(19) Antonin Artaud, « L’homme contre le destin », dans Messages révolutionnaires, op.cit, pp. 23-35 , et « Le théâtre et les dieux », pp. 36-47.
(20) « L’homme contre le destin », dans Messages révolutionnaires, op.cit., p. 23.
(21) Ibid., p. 26.
(22) André Rolland de Renéville avait fait paraître un premier texte « Dernier état de la poésie surréaliste », NRF, n° 221, février 1932, pp. 284-293. Breton réagit par une longue lettre qu’il envoya à Renéville. Daumal, ayant insisté pour que son ami réponde à Breton, les deux textes parurent ensemble, sous la rubrique « Correspondance », dans le n°226 de NRF du 1 juillet 1932, pp. 155-158 : « Lettre à A. Rolland de Renéville » d’André Breton suivi de « Réponse à André Breton » d’André Rolland de Renéville.
(23) OC, VIII, 169.
(24) « Le théâtre et les dieux », dans Messages révolutionnaires, Gallimard, Folio/essais, 1971, p. 37.
(25) OC, IV, p. 120.
(26) « Le théâtre et les dieux », dans Messages révolutionnaires, op. cit., p. 45.
(Ce texte est paru dans les Cahiers Artaud numéro 3)