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Patriotisme révolutionnaire et nationalisme intérieur

 

 
"Ce n’est pas en érigeant des frontières autour du territoire national qu’adviendra l’être communautaire de la France, mais en traçant des rayons vers son centre vital intérieur."

 

Si la guerre civile espagnole, à laquelle il a consacré son récit Hommage à la Catalogne (1938), est la principale source d’inspiration des romans les plus connus d’Orwell : La ferme des animaux (1945) et 1984 (1949), il faut leur adjoindre un petit essai, très peu connu et traduit tout récemment en français, qui constitue avec eux une sorte de triptyque politique orwellien : Le lion et la licorne, publié en 1941, où Orwell prône un patriotisme révolutionnaire affirmant que, pour gagner la guerre contre Hitler, il fallait faire la révolution sociale ou, réciproquement : faire la révolution, si l'on voulait gagner la guerre contre les nazis. C’était la même logique qu’avaient adoptée les révolutionnaires espagnols, anarchistes et poumistes, dans leur combat contre le fascisme, et c'est à cette logique qu'il faudrait nous en tenir aujourd'hui en France. 

Bakounine, dans Lettre à un Français, estimait que le patriotisme ne se restreint pas au culte de l'organisation étatique, il pensait que la nation, débarrassée de sa structure étatique, demeurait un fait naturel et historique : « En dehors de l'organisation artificielle de l'État, il n'y a dans une nation que le peuple ; donc la France ne peut-être sauvée que par l'action immédiate, non politique, du peuple "».

Je retranscris ci-dessous l'article où j'ai ébauché cette notion paradoxale de "nationalisme intérieur", article paru "en contrebande" sur le site "Front Populaire", en juillet 2020, en plein confinement. L'expression "en contrebande" signifie que cet article ne partage en rien, comme on pourra s'en apercevoir, les valeurs souverainistes réactionnaires de Monsieur Onfray.

 

Notre identité commune

Il y a deux types de nationalisme, l’un égoïste et chauvin, l’autre culturel et universel où s’affirment les qualités intrinsèques d’un peuple. Seul le second renvoie à la “communauté nationale” – car la nation, comprise en ce sens intérieur, est une communauté de destin.

La communauté nationale est une des grandes formes de communautés historiques. Le peuple est la somme des générations ayant fait l’expérience d’un temps historique commun dans un territoire historique commun. La communauté religieuse est une autre occurrence de communauté historique. En France, l’Église et l’État ont longtemps été les deux piliers de la nation française.

Aujourd’hui, alors que l’État a perdu sa souveraineté au bénéfice de l’Union européenne, la seule communauté de foi réellement “vivante” n’est plus l’Église catholique mais l’islam de la Oumma. Ce n’est donc pas à partir de l’État-nation ni de ce qui fut durant des siècles l’Église de l’État que pourra être régénéré l’esprit de la communauté nationale.

Il existe toutefois une troisième forme de communauté qui a toujours existé dans l’histoire et qui survient à partir du vécu commun devant une situation catastrophique. C’est ce type de communauté de résilience qu’une partie du peuple français expérimenta à différents moments de son histoire, notamment lors de la résistance à l’envahisseur nazi.

Cependant, il n’est pas tolérable pour le pouvoir dominant qu’une communauté nationale puisse ainsi surgir de façon spontanée, en dehors de l’État, d’où l’écrasement par la force policière du soulèvement populaire des gilets jaunes et son détournement idéologique par l’ingénierie sociale – avec la complicité unanime des médias, des partis politiques et des syndicats ouvriers.

Dans le type de rapports sociaux qui nous enchaîne, cette guerre de tous contre tous, comment une communauté pourrait-elle surgir à l’échelle d’une nation ? Nous sommes écartelés par l’opposition relevée par Ferdinand Tönnies entre communauté et société : la société est une “union d’intérêts” alors que la communauté est une “union de vie” – selon la belle définition de Martin Buber.

D’où provient l’énergie nécessaire à la constitution d’une telle communauté de vie ? C’est l’énergie volontaire de l’esprit d’alliance, l’esprit fédérateur du peuple qui décide du vivre ensemble dans des rapports d’appartenance réciproque : la commune de Paris a surgi de cet état d’esprit national.

Ce sentiment d’appartenance est la fonction nourricière du lieu où l’on vit, la confiance qui fonde notre relation au monde et donne sens à la vie, il est l’assise existentielle de notre écoumène. Cette conscience qui liait les hommes à leur environnement, à leur temps, à leur culture, a été arraisonnée par la colonisation des esprits qui s’est peu à peu imposée avec l’émergence de l’État moderne.

Simone Weil a donné comme exemple de colonisation des esprits et d’ethnocide culturel, le refoulé historique même sur lequel repose l’État français : la conquête, au XIIIe siècle, des territoires au sud de la Loire par les hordes venues du Nord, agissant pour annexer ces contrées au royaume de France et détruisant leur culture infiniment plus raffinée que celle des pays d’oïl.

Le déracinage de cette rupture coloniale fondatrice de la nation française se perpétue encore de nos jours, comme l’a montré le bashing du professeur marseillais Didier Raoult par les “spécialistes” en tous genres de la nomenklatura parisienne. Marseille est la dernière ville populaire de France. On trouvera peu de villes, en Europe occidentale, qui aient subi un tel rejet de la part de leurs élites et cette ville reste un objet de mépris pour les Franchimands de la capitale.

L’épisode du coronavirus aura fait la démonstration que nous ne savions plus ce qu’est une communauté, au sens de vivre et mourir ensemble ; et les “applaudissements de 20 h” n’auront été que la manifestation parodique de cette solidarité dont nous sommes devenus incapables. Incapables de suivre notre commun destin, nous avons perdu le sens de notre orientation humaine.

Pourtant le confinement pourrait bien avoir redonné vigueur à la cellule familiale qui est le véritable socle organique de l’esprit communautaire – car la famille n’est pas ontologiquement bourgeoise ni chrétienne. Les gilets jaunes qui se sont révoltés pour l’avenir de leurs enfants ou petits-enfants, n’ont pas obéi à un élan conservateur pétainiste mais à une conscience communautaire instinctive, à une volonté vitale. Il est navrant que certains intellectuels et militants “révolutionnaires” ne l’aient pas compris, faisant ainsi le jeu de l’oligarchie capitaliste.

Ce n’est pas en érigeant des frontières autour du territoire national qu’adviendra l’être communautaire de la France, mais en traçant des rayons vers son centre vital intérieur. Quel pourrait-il être ? Paris n’existe plus ni comme capitale politique ni comme centre spirituel – dans l’imaginaire collectif, l’incendie de Notre-Dame a été perçu comme un événement apocalyptique et métapolitique.

Cette forme d’un nationalisme intérieur ouvre la perspective d’une vision qui concevrait le monde comme une “communauté des communautés”, selon l’expression de Gustav Landauer, et s’opposerait à la globalisation de l’espace capitaliste.

Notre identité commune se fonde sur l’enracinement. L’enracinement, disait Simone Weil, est une donnée nécessaire à la vie. Notre identité est créatrice du sens commun et la fraternité en est la mesure. J'attends avec espoir le retour des gilets jaunes  !

 

Alain SANTACREU

Publié le 2 juillet 2020